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Séminaire 46 : Claude Simon et l’écriture de soi
mercredi 24 septembre 2025, par
Claude Simon et l’écriture de soi
46e séminaire de l’Association des lecteurs de Claude Simon
22 et 23 mai 2026.
Institut français d’Écosse, Edimbourg, et Université de Stirling (Écosse).
Les propositions de communication (titre, résumé de 500 mots environ, courte notice bio-bibliographique), en français ou en anglais, sont à adresser au plus tard le 15 janvier 2026 à Romain Billet (asso.lecteurs.claude.simon@gmail.com) et Diane de Camproger (ddcamproger@gmail.com). Les réponses seront communiquées au début du mois de février.
Attention
– Les organisateurs du séminaire souhaitent donner la priorité aux communications en présentiel, sans exclure totalement la possibilité d’intervenir à distance. Il importe dans tous les cas de préciser le mode de communication envisagé.
– La durée maximale des communications est de 25 minutes.
Appel à communication
Le thème choisi pour ce séminaire peut surprendre. Simon, n’a-t-il pas toujours refusé toute lecture autobiographique de son œuvre ? Tout en admettant que ses romans soient « à base du vécu », il insiste sur le fait que l’essentiel se trouve ailleurs : « Comme toutes les contraintes, celle de renoncer à la fiction est très fertile. Mais, encore une fois, ces éléments biographiques sont le prétexte. Le texte est autre chose » [1]. Et pourtant, l’œuvre véritable de Claude Simon n’a-t-elle pas commencé avec un ouvrage autobiographique fragmentaire, La Corde raide ? Et à partir des Géorgiques, la part autobiographique de son œuvre est de plus en plus assumée. Dans L’Acacia, Simon corrige les éléments visiblement romanesques de La Route des Flandres ; dans Le Tramway la narration se fait à la première personne au singulier pour la première fois depuis La Corde raide. De fait, la critique n’a pas cessé de revenir sur ces questions (voir la bibliographie sélective ci-jointe).
Pourquoi chez Simon la véhémence de ce refus de lecture autobiographique ? Faut-il la faire remonter à l’héritage de Proust – Contre Saint-Beuve –, renforcé par l’esprit ambiant des années 60 ? Simon avait une attitude plus nuancée que certains de ses contemporains à l’égard de la « référentialité ». Dans Le jardin de Plantes, il cite de façon satirique ceux qui, en 1971 lors du colloque de Cerisy, avaient critiqué les référents qu’il avait apportés avec lui : billets de banque, cartes postales. Les rapports entre la vie et l’œuvre d’écrivains et d’artistes font la matière même du Jardin des Plantes. Serait-il donc légitime de rattacher des ouvrages de Simon à l’un ou l’autre des nouveaux genres apparentés à l’autobiographie : autofiction, autoportrait, alter-fiction, autosociobiographie ? Quelles sont les traces de l’autobiographie classique dans son œuvre ? Chronologie, apprentissage, tournant d’une vie ? Quels traits rapprochent ou éloignent ses romans des critères proposés naguère par Philippe Lejeune ? Une comparaison avec le genre des mémoires serait-elle plus fructueuse ? Simon propose à ses lecteurs un pacte romanesque. Rien n’oblige le lecteur à accepter un tel pacte. Mais même si on applique à cette œuvre un jugement purement esthétique, ne reste-t-il pas une part autobiographique à intégrer dans ce jugement ?
L’autobiographique s’est compliqué ces dernières années par une nouvelle définition de l’écriture de soi :
L’écriture de soi désigne la mise en récit des actions, des pensées, du parcours personnel du scripteur, indépendamment des genres (tels que les mémoires ou les autobiographies...) ou des catégories d’écrits (comme celle des écrits du for privé). Elle permet donc de sortir de l’opposition entre écrits publics et écrits privés, puisque l’écriture de soi peut exister dans un journal intime comme dans une lettre administrative […]. Proche de l’anglais self-narratives ou de l’allemand Selbstzeugnisse, ce terme met l’accent sur la dimension narrative de ce qu’il désigne et exclut donc certains écrits compris dans les écrits du for privé (la majorité des livres de comptes par exemple) [2].
Cette définition nous invite à reconsidérer les écrits de Simon dans leur totalité. On peut comparer le « moi » pleinement assumé dans les commentaires sur l’œuvre (par exemple, le Discours de Stockholm), ou les souvenirs de guerre (par exemple l’interview de 1990 avec Pierre Bois dans Le Figaro) avec les différents avatars de soi dans des personnages de roman, de Louis dans Le Tricheur en passant par Georges dans L’Herbe et La Route des Flandres jusqu’au « brigadier » dans Les Géorgiques et L’Acacia. On peut également réfléchir sur Simon en tant que biographe. Dans L’Herbe un livre de comptes devient écriture de soi, dans Histoire des cartes postales, dans Les Géorgiques des écrits publics et privés.
Le thème du séminaire invite également à faire la comparaison entre Simon et d’autres écrivains et critiques. On peut le comparer à Barthes – qui est allé de la mort de l’auteur aux confidences intimes dans La Chambre claire –, ou à de nouveaux romanciers qui ont suivi un chemin un peu parallèle à celui de Simon : Nathalie Sarraute dans Enfance, Alain Robbe-Grillet dans ses Romanesques (Simon en 1962 : « Je ne peux parler que de moi » [3] ; Robbe-Grillet en 1978 : « Je n’ai jamais parlé d’autre chose que de moi » [4]). Par ailleurs, nombreuses sont les œuvres où l’on rencontre des avatars de l’auteur voués à l’échec (comme le sont bien des personnages des premiers romans de Simon) : Gide, Sartre, Proust (Swann) ; nombreuses aussi celles qui présentent des personnages qui se débattent avec des traumatismes de guerre (Céline ou Cendrars) ; nombreux encore les auteurs/narrateurs qui passent par des épreuves pour arriver à écrire l’œuvre que nous lisons, comme dans L’Acacia : Sartre encore (La Nausée), Butor (La Modification), Ernaux (Les Années) ou Proust.
On pourrait douter de la pertinence du concept « écriture de soi » en ce qui concerne l’œuvre de Simon. Aucun « soi », aucun « moi », sans mémoire. Mais Simon ne cesse de le répéter, la mémoire est défaillante, les perceptions fragmentaires. « Je est d’autres », disait-il déjà dans La Corde raide. Le « soi » des romans manque de stabilité, de continuité. « La tentative de restitution » n’a-t-elle pas été abandonnée après Le Vent ? Désormais, grâce à l’apport des mots, chaque roman ne construit-il pas un nouveau « moi », un nouveau « soi » ?
En élargissant le cadre de ces interrogations, il serait également possible de débattre la question du « soi » et du « moi » en littérature en prenant Simon, entre autres, comme exemple.
Nombreuses et ouvertes sont donc les voies que les propositions de communication pourront ainsi explorer.
Quelques citations
« Père. Un mot. Souvenir dans ce brouillard, cette irréelle perspective d’où (était-ce moi ?) la mémoire doutant d’elle-même ramène, moi et pas moi en même temps, des fragments de vitres cassées à travers lesquelles je peux prendre conscience ou plutôt ranimer un monde à l’échelle de l’enfant que je sais moi. » (Le Sacre du printemps)
« ce sein qui déjà peut-être me portait dans son ténébreux tabernacle sorte de têtard gélatineux lové sur lui-même avec ses deux énormes yeux sa tête de ver à soie sa bouche sans dents son front cartilagineux d’insecte, moi ?... » (Histoire)
« Le roman se fait, je le fais, il me fait. » (Entretien de Claude Simon avec Josane Duranteau, Les Lettres françaises, n°1178, avril 1967).
« Je suis maintenant un vieil homme. » (Discours de Stockholm)
Bibliographie sélective
- BELARBI Mokhtar, « Auto-alterbiographie dans Les Géorgiques et Le Jardin des Plantes de Claude Simon ». Texte, Toronto, 41-42, 2007, p. 151-166.
- BON, François, « Claude Simon, sept fois », vidéo n°6, « réalité »
- DUFFY, Jean H., « Cultural autobiography and ’bricolage’. Simon and Robert Rauschenberg ». Word and Image, 13, 1997, p. 92-101.
- DUFFY, Jean H., « “Ce n’est pas une allégorie. C’est une feuille tout simplement” : texte, intertexte et (auto)biographie dans Le Jardin des Plantes de Claude Simon ». Cahiers Claude Simon, no 13, Le Jardin des Plantes, Fragments, lopins, parcelles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 111 sq.
- DUNCAN. Alastair B., « Claude Simon : Le projet autobiographique ». Revue des Sciences Humaines, 220, octobre-décembre 1990, p. 47-62.
- FERRATO-COMBE, Brigitte, « Peinture et autobiographie dans La Route des Flandres ». Op. Cit., Revue de littérature française et comparée, n°9, nov. 1997, p. 179-185.
- GLEIZE, Joëlle, « Je est d’autres ». Critique, n°555-556, août-septembre 1993, p. 499-509.
- GOSSELIN, Katerine, « Souvenirs de lecture et souvenirs de soi : autobiographie et roman en face à face dans Le Jardin des Plantes (1997) et Le Tramway (2001) de Claude Simon ». Tangence, Le devenir-souvenir du roman. Poétique de la lecture romanesque, n°120, 2019.
- HARTMANN, Marie, « Je est plusieurs ». dans son Claude Simon, l’avidité de vivre, Caen, Presses universitaires de Caen, 2024, p. 136 et suivantes.
- PUGH, Anthony Cheal, « Claude Simon : Fiction and the Question of Autobiography ». « French Autobiography : texts, contexts, poetics », Romance Studies, 8, été 1986, p. 81-96.
- UVSLØKK, Geir, « Autobiographie » et « Autofiction » dans Dictionnaire Claude Simon, t. I, Michel BERTAND (dir). Champion, 2013, p. 74-77 et 77-80.
- VIART, Dominique, « L’Archéologie de soi dans la littérature française contemporaine : récits de filiations et fictions biographiques ». Vies en récit, Formes littéraires et médiatiques de la biographie et de l’autobiographie. DION, Robert et al. (dir.), Editions Nota Bene, Québec, 2007, p. 107-138.
Mots-clés
Autobiographie[1] Entretien avec Marianne Alphant, « Et à quoi bon inventer », Libération, 31 août 1989.
[2] Juliette Deloye, « Écriture de soi », dans VOCES, Vocabulaire pour l’Étude des Scripturalités, ARCHE UR3400 (Université de Strasbourg).
[3] « Je ne peux parler que de moi », Les Nouvelles littéraires, n°1809, 3 mai, 1962, p. 2.
[4] « Fragment autobiographique imaginaire », Minuit, n°31, novembre 1978, p. 2 (repris dans Le Miroir qui revient, Paris, Minuit, 1984, p. 10).