Accueil > Claude Simon > Citations > presque quatre-vingts ans plus tard
presque quatre-vingts ans plus tard
mardi 2 avril 2013, par
fond du bassin tapissé d’une litière de feuilles mortes rousses brunes rouille prune pourries gluantes sous ses mains il ne se rappelle pas avoir senti le froid de l’eau seulement les rires amusés et les quolibets des autres bonnes d’enfants assises sur les bancs tandis que la sienne l’emportait déshabillé nu enveloppé dans une couverture ou peut-être son châle le bassin peu profond au pied d’un petit tertre orné de rocailles entre lesquelles yuccas ou arbustes nains (buis ? : aller revoir mais presque quatre-vingts ans plus tard ! Alors ???…) jardin public pelouses palmiers néfliers tilleuls lauriers un ponceau dont les balustrades de ciment imitaient des branches entremêlées (écorce figurée au moyen de courtes entailles) franchissait le petit canal par où communiquaient deux autres bassins plus grands sur lesquels glissaient des cygnes au bec plat poussant devant leur poitrine de fines vaguelettes d’argent qui s’étiraient en triangle dans leur sillage petite île avec maisonnette où ils montaient parfois se dandinant sur leurs pieds palmés orange puis nageant de nouveau basculant brusquement en avant décapités leur courte queue en l’air le cou plongé dans l’eau bec fouillant la vase vert-noir (feuilles mortes aussi au fond) sur laquelle se détachaient immobiles les formes effilées des poissons rouges (...)
Claude Simon, Le Jardin Des Plantes (Minuit, 1997, p. 363-364. Œuvres, 1, Gallimard, Pléiade, 2006, p. 1167-1168)