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le terminus de la ligne du tramway
dimanche 13 mai 2012, par
Si le terminus pour ainsi dire domiciliaire de la ligne du tramway se situait presque au cœur de la ville, par contre, à son autre extrémité, les rails couverts de rouille disparaissaient, quelques mètres après un butoir, sous une couche de sable dont le vent de mer les recouvrait avec la même patiente obstination que celle de l’employé de la Compagnie chargé d’en dégager la partie où ils se dédoublaient de façon à permettre à la motrice de venir s’accrocher à l’extrémité de cette remorque que, l’été, elle tirait derrière elle, appelée « baladeuse », et dont les bancs parallèles n’étaient séparés de l’extérieur que par les montants de bois reliant le plancher au toit et entre lesquels volaient au vent des rideaux de grosse toile le plus souvent mal attachés. Un simple hangar de bois passé au goudron, presque noir, abritait la nuit la motrice, à la limite du désert sablonneux où venait aussi finir la route prolongée par deux étroits chemins de planches décolorées, grisâtres, rongées par le sel marin et eux aussi à demi ensablés qui traversaient la plage dans sa largeur et permettaient d’accéder à un ensemble de baraques passées de même au goudron brun, formant les trois côtés d’un quadrilatère d’environ vingt mètres de large, ouvert sur la mer, comportant des cabines de bains, un bar et un café-restaurant autour d’une piste de danse.
Le Tramway (Minuit, 2001), p. 40-41