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Roche, Denis
dimanche 6 septembre 2015, par
Pour Denis Roche, par Joëlle Gleize
Auteur paradoxal d’une œuvre poétique qui expérimente toutes les manières d’épuiser la poésie, de la volatiliser, de proses qui taillent et découpent les discours, d’essais sur la photographie comme « conversation » avec le temps et le présent des circonstances, Denis Roche s’est également consacré à la photographie, en la faisant jouer comme et avec le texte.
Il n’a cessé de se déplacer, de s’écarter violemment des chemins attendus, dans son œuvre comme dans son travail d’éditeur, poursuivant avec la collection « Fiction & Cie » sa recherche par auteurs interposés.
Il admirait et aimait Claude Simon dont il avait préfacé le recueil Photographies, 1937-1970, paru chez Maeght en 1992.
Il disait ceci : « La prose est évidemment une poursuite de l’unique et du tout, scandée par l’infinie posture des phrases. C’est toujours la poursuite obstinée du labyrinthe ultime qu’on ne fera jamais, au mieux qu’entr’apercevoir. »
« 11 juin 1985. Cologne, Allemagne. Autoportrait. »
Denis Roche décrit ainsi cet « acte photographique » dans Ellipse et laps :
« Je me dis : demain j’aurai quitté cette ville et je n’y reviendrai sans doute jamais. Je me dis aussi que devant cette Mort, la seule chose que je puisse vraiment penser c’est que je suis vivant mais que ça ne veut pas dire grand chose, et que certainement ça ne veut rien dire d’autre. »
Dans la préface à Photographies, Denis Roche écrit notamment, à propos de Claude Simon :
Étonnante fascination qu’éprouve Claude Simon pour les phénomènes liés à l’involution ; besoin et labeur alliés constamment pour repousser ce qui, si naturellement semble-t-il, chez tout autre, irait dans le sens d’un contenu romanesque évolutif, d’une intrigue se construisant devant les yeux du lecteur pour se dénouer enfin, de personnages préoccupés uniquement de leur sort narratif. C’est le rêve réalisé, à chaque livre, de tout faire tenir ensemble : mémoires des gens, mémoires des lieux, mémoires des gestes. Et une seule visée mentale occupée à tourner lentement sur elle-même, boussole sans but, développant une très lente surface de tout, grossissant l’enjeu et la métaphore, les diminuant, « fermant » l’objectif ou l’ « ouvrant » jusqu’à faire entrer tant de choses d’un seul coup dans un étrange mouvement effaré de la lumière ; puis émiettant, comme on fait d’une feuille sèche entre deux doigts, fragmentant ce qu’il voit, le dispersant, gagné par le lyrisme du diminuendo — car c’est vrai qu’il a un peu les mains sur un clavier et qu’il s’agit, dans cette musique d’un genre si nouveau, d’aller tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, gagnant un peu là, un peu ici, retombées et remontées de l’écriture, oscillations et pulsations, évanouissements et remontées à la surface, trouées dans le temps, trouées dans la lumière, invasions du noir et de la ténèbre et moulinets du bras que fait l’écrivain — ou le photographe — pour les chasser, au moins les détourner du spectacle, rejeter ce noir et cette ténèbre dans le hors champ, qu’il n’en subsiste que la trace, un fond tout au plus, le fond même de la toile qu’on est en train de peindre, une gaze, n’est-ce pas, qu’on ne soit plus que seul et entier, de retour, enfin presque, dans la maison de gaze, dans la chambre où tout a passé.
voir aussi :
– Hommage à Denis Roche par Benoît Auclerc sur le site de la Société des Lecteurs de Francis Ponge
– Danielle Leenaerts, « Denis Roche. La photographie comme art du silence », communication présentée lors de la journée d’étude « Photographie et Indicible », jeudi 12 mai 2011, Université Rennes 2, labo Celam, publié sur Phlit le 30/01/2012.
– Denis Roche sur Wikipedia
– On peut également retrouver Claude Simon et Denis Roche dans le documentaire « Claude Simon photographe » où ils commentent le travail de photographe de l’écrivain pour Alain Jaubert, lors de l’exposition à la Galerie Maeght et de la parution de l’album Photographies. France 3, 16 mars 1992. 24min 31sec.