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Perpignan : la « Place à Ragots »
lundi 4 août 2014, par
De même, on reste pour le moins étonné par le dramatique tableau que fait le même narrateur, au début de « Sodome et Gomorrhe », de certaines pratiques dont il présente longuement les adeptes maudits avant d’avertir le lecteur que ces « maudits » se comptent par milliers dans toute société et que les barons, comtes ou ducs de ses connaissances vantaient les uns aux autres les charmes et la robustesse de leurs superbes valets de pied. Et, comme il en était de l’antisémitisme, je ne me souviens pas, au cours de mon enfance et dans le milieu des plus collet monté où j’ai été élevé, d’avoir entendu la moindre condamnation de ces pratiques dont le représentant le plus en vue appartenait lui-même à ce que l’on appelait (ou s’appelait elle-même) la « société » (quoique, dans son cas, un peu dédorée) de la ville, homme déjà d’un âge mûr se disant poète, et dont le récit des frasques complaisamment d’ailleurs colportées par lui-même nourrissait les potins, sa qualité de poète, justifiée par une feuille mensuelle qu’il composait avec l’aide de ses amis et de quelques dames poétesses, lauréates du « Genêt d’or » aux Jeux floraux toulousains, particulièrement recherchée pour la principale rubrique qu’il ne laissait à personne d’autre le soin de rédiger et intitulée « La Place à Ragots » (Arago). (Le Tramway, p. 59-60)