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Perpignan : Promenade des Platanes
lundi 4 août 2014, par
La Promenade des Platanes a été aménagée sous le Premier Empire pour offrir aux perpignanais un lieu d’agrément en dehors des remparts.
Simon décrira et photographiera à plusieurs reprises l’« allée cathédrale des hauts platanes centenaires aux fûts lisses comme des colonnes blanc moucheté se détachant éclatant sur le bleu du ciel d’hiver balayé par le vent balançant avec lenteur leurs sommets échevelés convulsifs flottant comme des algues dans un courant au-dessus des pelouses » (Le Jardin des Plantes, p. 364)
Le jardin public qui prolonge la promenade est aussi le théâtre d’une expérience marquante racontée dans Le Jardin des Plantes, lors de laquelle le petit garçon, mal surveillé par sa bonne, tombe dans un bassin peu profond :
S’il s’agissait de sa toute première enfance (auquel cas S. ne voyait pas très bien quel événement au cours de cette période sinon l’absence du père aurait pu avoir sur la suite de sa vie une importance déterminante), la seule chose dont il se rappelait avec précision était d’être tombé dans le bassin d’un jardin public d’où la domestique qui le promenait l’avait sorti et ramené précipitamment à la maison en le portant dans ses bras, hâtivement déshabillé et enveloppé dans quelque chose comme une couverture ou un châle, et que le souvenir concret qu’il gardait de cet incident n’était ni le froid de l’eau, ni la peur (le bassin n’était profond que d’une vingtaine de centimètres) mais l’image du tapis de feuilles mortes qui en recouvraient le fond, à demi pourries, d’une couleur marron, certaines déjà décomposées et noirâtres, d’une consistance gluante sous ses paumes tendues en avant pour protéger sa chute et que la domestique essuyait tant bien que mal tout en l’emportant sous les commentaires moqueurs (du moins lui parurent-ils moqueurs) des autres bonnes d’enfants assises sur les bancs et occupées à surveiller les jeux de ceux dont elles avaient la garde. (Le Jardin des Plantes, p. 222)
fond du bassin tapissé d’une litière de feuilles mortes rousses brunes rouille prune pourries gluantes sous ses mains il ne se rappelle pas avoir senti le froid de l’eau seulement les rires amusés et les quolibets des autres bonnes d’enfants assises sur les bancs tandis que la sienne l’emportait déshabillé nu enveloppé dans une couverture ou peut-être son châle le bassin peu profond au pied d’un petit tertre orné de rocailles entre lesquelles yuccas ou arbustes nains (buis ? : aller revoir mais presque quatre-vingts ans plus tard ! Alors ???...) jardin public pelouses palmiers néfliers tilleuls lauriers un ponceau dont les balustrades de ciment imitaient des branches entremêlées (écorce figurée au moyen de courtes entailles) franchissait le petit canal par où communiquaient deux autres bassins plus grands sur lesquels glissaient des cygnes au bec plat poussant devant leur poitrine de fines vaguelettes d’argent qui s’étiraient en triangle dans leur sillage petite île avec maisonnette où ils montaient parfois se dandinant sur leurs pieds palmés orange puis nageant de nouveau basculant brusquement en avant décapités leur courte queue en l’air le cou plongé dans l’eau bec fouillant la vase vert-noir (feuilles mortes aussi au fond) sur laquelle se détachaient immobiles les formes effilées des poissons rouges éparpillés ici et là comme des jonchets (Le Jardin des Plantes, p. 363-364)