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Hommage à Lucien Dällenbach
lundi 19 mai 2025, par
In Memoriam

C’est avec tristesse que les lecteurs de Claude Simon apprendront le décès de Lucien Dällenbach (1940- 2025) le 7 mai dernier. Professeur à l’Université de Genève, puis à l’ETHZ de Zurich, Lucien Dällenbach, pour nombre d’entre nous, aura été un précieux initiateur à la lecture de Claude Simon.
De la fin des années 70 aux années 90, consacrés aux recherches en cours de l’écrivain, les nombreux essais de ce critique (amateur de masques africains et passionné de peinture) auront sans aucun doute contribué à faire « corps conducteurs » entre les différentes étapes de l’œuvre simonienne.
Prises en compte dans une poétique de « la mise en abyme » (Le récit spéculaire, 1977), le critique salue la réussite du romanesque à la parution des Géorgiques (« Les Géorgiques ou une totalisation accomplie, Critique, 1981) ; il implique la mémoire du lecteur dans la texturologie de La Route des Flandres (« « Le tissu de mémoire », postface de l’édition de poche de ce roman, 1984) ; puis valorise l’attraction de la poétique simonienne pour l’élémentarité, en réaction aux valeurs galvaudées de notre civilisation dans le prolongement de l’expérience catastrophique d’un cavalier emporté tel un fétu, lors de la débâcle de l’armée française en mai 1940 (« La question primordiale », Sur Claude Simon, 1987).
L’engagement d’un lecteur curieux – comme l’était Dällenbach – aux côtés d’un écrivain laborieux (peu avant que Simon ne soit consacré par le Nobel), se concrétise académiquement en 1985 par la mise sur pied d’un Colloque international, organisé en novembre 1985 à Genève, de manière à faire le point sur travail et sur la réception des recherches d’un écrivain innovant ; avec l’idée de dégager Simon de l’étiquette un peu convenue de nouveau romancier. Cette visée, le Claude Simon de Dällenbach (Seuil, « Les contemporains », 1988) l’établit et ce petit livre demeure un ouvrage de référence dans les études simoniennes ; tout en prolongeant à sa manière les analyses de Jean Ricardou, les notes lecture de Merleau-Ponty, les premières approches Gérard Roubichou ou de Ludovic Janvier.
Ces quelques traits de l’histoire de la réception critique de l’œuvre de Simon ne devraient pas nous faire oublier la teneur amicale des relations que Lucien Dällenbach a tissées avec l’écrivain (aussi complexes et ambigües que puissent être les relations d’un écrivain avec son critique). Leur correspondance en témoigne. On en retrouve des échos (par exemple dans celle de Simon avec Dubuffet), comme dans les correspondances générales qu’implique la poétique simonienne.
En 2013, à l’occasion des commémorations du centenaire de Claude Simon, Dällenbach publie à son tour son propre album d’un amateur. Dans cet album qui entremêle photographies privées, réflexions critiques et souvenirs de voyage autour d’un colloque tenu en 1982 à New-York où il s’agissait de faire le bilan du Nouveau Roman, le jeune professeur qu’il était alors tient à réaffirmer sur le tard l’intense et indéfectible amitié qui l’avait lié à Claude Simon, tout en reconnaissant bien que cette relation n’avait « jamais été un long fleuve tranquille » (Claude Simon à New-York, Éditions Zoé, 2013, p. 115). Telle reconnaissance d’une intranquillité critique, nous pourrons la faire nôtre.
Alain Froidevaux
illustration : Claude Simon et Lucien Dällenbach à New-York en 1982 (Claude Simon à New-York, p. 82)