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Claude Boisnard
mardi 7 août 2018, par
J’avais ouvert La Route des Flandres il y a bien longtemps, alors que je faisais mon service militaire, et il m’était tombé des mains, je n’ai jamais renouvelé l’expérience, jusqu’à tout récemment, il y a deux mois.
C’est un travail photographique qui m’y a amené après quelques détours. Travail mené à l’occasion d’un chantier qui bouleverse la ville dans laquelle je vis, autour d’un nouveau tramway, travail pour lequel j’esquisse une démarche photographique faite de superposition et de tentative de rendre compte du caractère chaotique des chantiers. Je nourris ma démarche de recherches sur internet, variant les thématiques, jusqu’à ce qu’un jour au bas d’une page de résultats je tombe sur l’ouvrage d’Irène Albers : Claude Simon moments photographiques, dans lequel je retrouve des aspects de ma démarche, mais du coup je m’empresse d’acheter Le Tramway pour voir, puis La Route des Flandres, dont je n’arrive pas à m’arracher, une lecture hypnotique, le chaos, le désordre des souvenirs qui ne respectent aucune chronologie, l’errance, l’Ulysse de Joyce (un jour de juin 1904, [Bloom ?])... puis L’Herbe, puis les Géorgiques, qui me fascinent tout autant que La Route des Flandres, et m’aspirent, comme la vitesse du train aspire le paysage et le voyageur…
Les Géorgiques dont le chapitre IV me contrarie, voire me fâche : d’où vient ce regard en surplomb, qui tombe sur (O.) et le disqualifie, qu’est-ce qui justifie la condamnation d’un récit qui tente de trouver un sens à un combat, le combat contre une moité de l’Espagne et particulièrement contre ces chefs militaires qui imposent leur sens, leur dieu, leur ordre ? En quoi, face à cela, le dilettantisme voyeur est-il préférable à l’engagement ? Le regard sur (O.) et tous ceux qui ont lutté pour leur dignité de ce côté là me trouble, m’interroge, et je renvoie des questions au narrateur qui ne répondra jamais : (O.) se prénomme Georges, et du coup, qui sait, pourquoi Georges ? Faut-il lire Les Georgiques plutôt que (ou en même temps que) les Géorgiques ?
Et cette semaine j’entame L’Acacia, dont j’ai bien du mal à interrompre la lecture de temps en temps…
Voilà, une découverte tardive, une rencontre plus que stimulante (c’est la première fois que je cherche à compléter la lecture d’une série de romans par des informations sur l’auteur, de façon presque insatiable). La lecture de ces romans s’inscrit dans la liste de mes ouvrages de prédilection, dont beaucoup sont liés à l’errance : Joyce donc avec Ulysse, l’Odyssée, mais aussi Jacques le Fataliste, qui erre à cheval, échangeant avec son maître, de digression en digression, consultant sa gourde et multipliant les allusions à son capitaine, Don Quichotte, mais aussi La Montagne de l’Âme, de Gao Xingjan, autre prix Nobel.
La découverte de votre site, et de ses nombreux documents (le schéma du parcours de Georges un jour de mai 40 par exemple) a été un adjuvant non négligeable.
Claude Boisnard
– Pour découvrir ses photographies : https://cboisnardphotographies.wordpress.com/
Nous remercions vivement Claude Boisnard de nous avoir confié la photographie ci-dessus (que vous pouvez agrandir en cliquant sur l’image). Voici ce qu’il écrit à propos de cette série (très simonienne) en cours :
J’avais décidé de travailler en procédant par superposition de photographies prises à des moments différents, sous des angles différents, avec des focales différentes (ou pas).
La lecture d’Irène Albers, puis de Claude Simon a conforté ma démarche, surtout la lecture des romans : Le Tramway, puis la Route des Flandres (deux fois puis de nombreux retours ponctuels) puis les Géorgiques, l’Acacia (en cours). Le narrateur y procède à des retours sur certains événements, jamais décrits de façon identique, abordés à chaque fois à l’issue d’un cheminement différent, sous un angle qui n’est jamais le même. En sorte que le lecteur que je suis en garde une « image », des sensations, qui sont faites de la superposition de plusieurs strates, superposées, qui ne coïncident pas vraiment, dont chacune est « vraie », comme est « vraie » l’image composite.
J’avais l’idée de travailler sur les chantiers comme autant de « chaos momentanés mais durables » (18 mois de travaux, jusqu’en septembre 2019), l’écriture de Claude Simon est particulièrement adaptée à rendre compte du chaos du monde.
Il s’agit ici du chevet de l’église saint Pierre, à Caen, pendant la première phase des travaux.