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Ce qui m’est étranger m’attire
samedi 29 juin 2013, par
J’ai, à plusieurs reprises et au plus haut que j’ai pu, soutenu votre œuvre, non qu’elle réponde exactement à l’idée que je me fais du roman, mais parce que, dans la mesure où elle apparaît comme grandement autobiographique, je trouvais passionnant de connaître par elle ce qui peut se passer à des milliers de kilomètres dans l’esprit d’un de mes semblables, héritier d’une civilisation, d’une langue, d’une pensée et d’une manière de vivre mal connues de moi et en général de l’Occident. En d’autres termes, ce qui, outre un talent certain, a retenu mon attention, c’est précisément notre ou plutôt nos différences. Ce qui m’est étranger m’attire, non seulement en fonction de cette étrangeté même, qui constitue toujours et dans tous les domaines un facteur d’enrichissement, mais encore, lorsque s’y manifeste quelque chose d’authentique comme c’est le cas chez vous , parce qu’elle révèle paradoxalement un « fonds commun » à tous. Enfin, votre personne même inspire la sympathie.
Claude Simon, « Cher Kenzaburô Ôe » (extrait), Le Monde, 21 septembre 1995