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Bernard Bruges-Renard
vendredi 6 novembre 2015, par
Passion Claude Simon
Septembre 1989, ma femme, grande lectrice, m’offre « L’Acacia », ce roman qui vient de sortir, dont l’auteur m’est quasi inconnu même si je me souviens qu’il est Prix Nobel de Littérature, prix dont le dernier récipiendaire français fut Albert Camus, rien que ça !
Dès les premières pages de « L’Acacia », c’est un choc, je n’ai jamais rien éprouvé de semblable à la lecture d’un roman et pourtant j’ai fait des études littéraires.
Et je me surprends à respirer au rythme de ce texte qui déploie une énergie difficile à décrire : un flux bienfaisant de mots qui se projettent en moi comme autant d’images et de sons dont la présence est si intense que je lis et relis afin de renouveler le plaisir qui me transporte.
C’est un mélange d’émotion puissante, continue et de satisfaction intellectuelle, une expérience de lecture totale.
Cela se traduit par une forme de respiration induite par le texte, un souffle transmis physiquement par l’écrit.
J’en suis et j’en reste « étonné » au sens propre. Un coup de foudre en quelque sorte !
Je me dis que je ne pourrai plus rien lire d’autre !
Et il me faut très vite continuer la découverte de cette œuvre qui change tellement tout pour moi. Je lis tous les romans disponibles, un par un par ordre chronologique !
Certains ouvrages m’impressionnent davantage ou se présentent comme plus arides que d’autres bien sûr, mais à chaque fois je suis emporté par l’élan de cette écriture à nulle autre pareille, qui me pénètre, m’ouvre des horizons, appelle des images.
J’en parle sans cesse à mon entourage qui souvent ignore l’écrivain et parfois ne comprend pas mon enthousiasme pour cet auteur « difficile ».
Je découvre aussi le photographe, regrettant de ne pouvoir me procurer l’ « Album d’un amateur ».
Bien qu’intimidé, mon admiration m’incite à lui écrire, en retour, une courte réponse manuscrite me touche beaucoup, en remerciement je lui dédie et lui envoie une photo de cheval…
Enfin, par chance, j’ai pu le rencontrer et le photographier une première fois en avril 1991, lors d’une exposition de travaux d’étudiants de l’École Estienne consacrés à ses œuvres.
J’en garde le souvenir précieux d’une voix et d’un regard inoubliables.
Une autre rencontre, lors d’une signature à la Librairie La Hune où les échanges se font essentiellement à propos de « La Route des Flandres ».
La Librairie Tschann me fait cadeau des fac-similés qu’elle a mis en vitrine à l’occasion de la sortie du « Tramway ».
Bien sûr par la suite je continue de le lire au fur et à mesure des parutions avec le même grand plaisir, la même intensité. Parallèlement je me documente et lis quelques ouvrages critiques dont les excellents travaux de Lucien Dällenbach puis de Mireille Calle-Gruber.
Pour moi il n’y a pas de petits livres de Claude Simon, si ce n’est par la taille ! mais les deux plus minces que sont « L’Invitation » et « Le Discours de Stockholm » m’ont beaucoup séduit, l’un est un bonheur politico-drolatique et l’autre est à lui seul une référence littéraire absolue déclinant une esthétique et une éthique auxquelles tout écrivain devrait se confronter si ce n’est se conformer.
Le 6 juillet 2005 : un vrai chagrin, comme la perte d’un être cher.
Je peste contre ce que des ignorants envieux se permettent d’écrire à son sujet en cette occasion qui ne devrait appeler que la reconnaissance ou pour le moins le respect. Je regrette que si peu d’hommages qui lui soient rendus.
Je pense à Réa.
L’exposition de la BPI, fin 2013, célébration du centenaire de sa naissance, m’a rempli d’émotion à la vue des manuscrits et des objets réunis.
L’œuvre de Claude Simon m’accompagne, m’inspire dans mon travail photographique.
J’ai réalisé récemment une série intitulée « Petites traversées des apparences » exposée au Mans en 2014 puis à Rennes en 2015 à partir de la première ligne de « Leçon de choses » : Les langues pendantes du papier décollé laissent apparaître…
Je ne cesse de penser à tout ce que je lui dois et de l’en remercier, il m’a redonné le goût de la lecture, de l’exigence en littérature, et surtout il a aiguisé mon propre regard sur ce qui m’entoure, cet « inépuisable chaos du monde », avec le souci minutieux de reconnaître une réalité qui dépasse toute fiction.
Aujourd’hui je me tiens au courant des activités de l’association des lecteurs et je suis ravi de découvrir « Le Cheval ».
Bernard Bruges-Renard