Association des Lecteurs de Claude Simon

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Kahn, Olivier. Temps verbaux, point de vue et composition (2017)

mardi 26 septembre 2017, par Christine Genin

Olivier Kahn

qui avait participé au deuxième Séminaire des jeunes chercheurs le 3 juin 2016, a soutenu sa thèse à l’université Paris 8 le vendredi 30 juin 2017.

« Temps verbaux, point de vue et composition dans les romans de Claude Simon. Approche stylistique et génétique. »

Thèse de doctorat en langue et littérature françaises

Sous la direction d’Anne Herschberg Pierrot

Le jury était composé de : Nathalie Piégay, Isabelle Serça, Jacques Neefs, Martine Créac’h et Michel Bertrand

Résumé

Cette thèse met en valeur les liens que les temps verbaux et la construction textuelle du point de vue entretiennent avec la composition des romans de Claude Simon écrits à partir du Vent (1957). En nous appuyant sur la théorie des systèmes de temps et en la revisitant à partir de l’emploi des temps verbaux dans ses romans, nous montrons en quoi l’écriture de l’écrivain conteste des systèmes verbotemporels et un système narratif historiquement datés au regard d’une écriture qui s’émancipe des schémas qui les motivent. Nous démontrons de même que la temporalité et la construction textuelle du point de vue dans ces romans sont au service de la plasticité de la composition romanesque. L’analyse verbotemporelle de notre corpus s’articule conjointement à celle de la ponctuation, de la syntaxe, de l’énonciation et du point de vue narratif avec la composition des romans. L’approche stylistique de tous ces aspects se conjugue à l’approche génétique, qui permet dans de nombreux cas d’expliquer plus justement le processus d’élaboration de la composition et du style. La prise en compte de la composition nous paraît s’imposer au vu des ruptures radicales avec un système romanesque périmé, qui nous amènent à déplacer le champ des repères de l’analyse critique. On pourrait dire, en paraphrasant Mallarmé, que dans les romans de Claude Simon, la composition rémunère le défaut des repères traditionnels du temps.

De même que la syntaxe et la ponctuation ne se pensent plus à l’échelle de la phrase, chez Claude Simon, nous considérons que les temps verbaux et la notion de point de vue doivent aussi s’envisager à l’échelle du roman et de ses macrostructures, ce qui nous conduit à mettre particulièrement en valeur la composition de deux romans La Route des Flandres et Le Jardin des Plantes, qui, faisant alterner temps présent et temps du passé, permettent de bien rendre compte de leur composition verbotemporelle. Cette composition redouble celle conçue à partir des séries thématiques mises en évidence par Claude Simon lors de l’élaboration de ses plans de montage, et elle permet tout autant que le retour périodique des thèmes de construire le sens des romans.

Notre analyse de La Route des Flandres met en évidence que la macrostructure est plus encore porteuse de signifiance que ses microstructures, que la progression du texte et sa cohésion sont largement assurées par sa structure formelle, simplement observée au niveau des modes verbaux, des formes temporelles et selon la construction textuelle du point de vue. Là où de possibles bifurcations du sens peuvent prêter à confusion, les formes sont toujours à même d’en assurer la cohérence. En conséquence, on est amené à s’interroger sur le sens, dont la cohérence est intrinsèquement assurée par le jeu des formes verbales et la construction textuelle du point de vue qui sous-tendent toute l’architecture du roman. Par là-même, on peut suivre la façon dont toute une construction, élaborée de façon plus intuitive que concertée, devient signifiante. Dans ses « Notes de cours sur Claude Simon » Maurice Merleau-Ponty retrouve ainsi dans La Route des Flandres une donnée phénoménologique profonde, que l’auteur du roman perçoit et réussit à faire ressentir à son lecteur par le biais de sa construction romanesque : « le monde comme existence totale ». On peut considérer que la perception de cette existence totale trouve son expression à travers la construction romanesque de Claude Simon, qui en fait faire l’expérience à son lecteur. Celui-ci perçoit résonances et harmoniques à travers les strates mémorielles qui s’inscrivent dans la structure du roman. La conception du temps dans ce roman, émanation de la composition romanesque, est étroitement liée au bouleversement des habitudes qu’elle a induites chez le lecteur : il n’y a pas de conception du temps pour Claude Simon en dehors de l’expérience de l’écriture et de la lecture qui lui fait suite.

Nos analyses du Jardin des Plantes mettent en relief deux principes qui organisent les énoncés dans le roman, par contrastes, oppositions ou associations, selon une disposition en damier, et qui président au nécessaire retour périodique des structures temporelles. Si ces deux principes participent de la composition, le dernier de ces principes laisse entrevoir une autre structure compositionnelle, sous-jacente à la première, une composition en réseaux. L’analyse du roman permet de vérifier que temporalité et point de vue s’inscrivent dans des réseaux et des séries structurant la composition romanesque. La composante thématique se redouble, pour la constitution des séries, de composantes formelles qui sont à elles seules en mesure d’en constituer de nouvelles. La composante formelle, toujours présente, est génératrice de ses propres réseaux qui sont tout autant inscrits dans la genèse du texte que les réseaux thématiques.

L’approche génétique permet de démontrer que les structures compositionnelles de ces deux romans sont programmées dès le début de leur écriture, de même qu’elle permet d’établir que les caractéristiques stylistiques et linguistiques s’inscrivent à l’instar des thèmes inducteurs dès les premiers feuillets des manuscrits. Si la composition des romans y est déjà programmée, c’est aussi toute la grammaire qui leur correspond qui s’y élabore. Celle-ci est tributaire d’une composition émancipée des schémas recteurs de la narration traditionnelle. Si les structures du texte sont déjà là de manière sous-jacente, un passé simple ayant aboli toute distance avec l’instance énonçante est aussi à l’œuvre en ces débuts de manuscrits de même que la neutralisation entre narration et description y est déjà inscrite.
La grammaire simonienne allant de pair avec la composition, celle-là s’est élaborée très tôt afin de répondre aux nécessités formelles alliant composition et rédaction. La composition, si elle est intuitivement scénarisée, est susceptible de réorganisations multiples tout au long de la genèse du texte. La grammaire simonienne se devait de permettre ces réordonnancements réitérés des énoncés : passé simple émancipé de tout schéma recteur, émancipation de la relation anaphorique, tout en y répondant parfaitement, en sont les principaux vecteurs. L’examen de l’incipit de l’Acacia conforte les conclusions élaborées à partir des autres romans.

À l’issue de cette recherche, qui s’intéresse en premier lieu au renouvellement de la langue littéraire par Claude Simon, nous sommes bien conscient que la méthodologie critique se doit pour atteindre ses objectifs d’opérer son propre renouvellement.
Si cette thèse montre à partir de l’étude stylistique et génétique du roman simonien comment la littérature conduit à revoir l’approche linguistique de la langue au-delà de la phrase, elle montre aussi comment la poétique narrative rouvre l’usage de la langue.

Résumé en anglais

This thesis emphasizes the links which the tenses of the verb and the textual construction of the point of view maintain with the composition of Claude Simon’s novels written from The Wind ( 1957 ). Resting on the theory of the systems of tense and by revisiting it from the use of the tenses of the verb in his novels, we show why the writing of the writer disputes verbotemporels systems and narrative system historically dated with regard to a writing which becomes emancipated plans which motivate them. We demonstrate as well as the temporality and the textual construction of the point of view in these novels are in the service of the plasticity of the romantic composition. The tense analysis of our corpus articulates jointly in that of the punctuation, the syntax of the statement and the narrative point of view with the composition of novels. The stylistic approach of all these aspects conjugates in the genetic approach which allows in numerous cases to explain more exactly the process of elaboration of the composition and the style. The consideration of the composition appears to us to be imperative in view of the radical breaks with an out-of-date romantic system which brings us to move the field of the marks of the critical analysis. We could say, by paraphrasing Mallarmé, that in Claude Simon’s novels, the composition pays the defect of the traditional marks of time. As well as the syntax and the punctuation do not think anymore on the scale of the sentence, at Claude Simon, we consider that the tenses of the verb and the notion of point of view also have to envisage on the scale of the novel and of its macrostructures, what brings us to emphasize particularly the composition of two novels The Flanders Road and Jardin des plantes which varying present tense and tense of the past allow to report well their tense composition. This search which is interested first of all in the renewal of the literary language by Claude Simon participates consequently in the renewal of the critical methodology which allows to emphasize it. It shows from the stylistic and genetic study of the simonien novel how the literature drives to revise the linguistic aproach of the language beyond the sentence but also how the narrative poetics reopen the use of the language.

Mots-clés

Kahn, Olivier