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Il fait beau
mercredi 25 juillet 2012, par
Il fait beau. Le ciel est d’un bleu léger, lavé, comme il est par temps très clair vers sept ou huit heures du matin quand il a plu la veille, avant que la chaleur ne l’embrume ou le plombe. Des nuages étirés sont suspendus ou plutôt flottent çà et là, comme les îles d’un archipel, les plus petits, que leur minceur laisse traverser par la lumière, entièrement blancs, les plus grands, plus épais, ombrés d’un léger roux. Leurs formes aux dentelures allongées, toutes orientées dans le même sens, sont celles que façonne un vent violent, comme celui qui a sans doute soufflé pendant la nuit, chassant la pluie — ou peut-être encore à l’aube —, mais qui est maintenant tombé, aucun souffle n’agitant les branches rigides des arbres (tout au plus les feuillages sont-ils parfois parcourus de légers frémissement qui ne courbent même pas les rameaux), les nuages continuant à glisser lentement sur leur lancée, si lentement qu’ils paraissent presque immobiles, leurs formes et leurs distances respectives restant inchangées, l’archipel tout entier dérivant à vitesse constante, les nuages les plus proches parcourant une distance apparente plus grande tandis que les plus lointains, quoique animés de la même vitesse, paraissent, eux, rester sur place, de sorte que le ciel semble pivoter imperceptiblement autour d’un point fixe, situé à l’infini.
Claude Simon, la Bataille de Pharsale (Minuit, 1969, p. 101-102). Repris dans Œuvres, 1. La Pléiade, p. 629