Association des Lecteurs de Claude Simon

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Hélène Verdier

mercredi 4 novembre 2015, par Christine Genin

Franges du Bray, 1er novembre 2015

Exergue 1
Time present and time past
Are oth perhaps present in time future,
And time future contained in time past

T.S. ELIOT (Four Quartets)
Exergue de L’Acacia

Exergue 2
Elles couchèrent un soir dans le dortoir d’un couvent (ou d’un collège de filles) où les lits étaient séparés par des rideaux de toiles blanches pendant à des tringles. Elles couchèrent une fois dans un café dont le patron leur demanda le prix de trois chambres (il dit qu’il ne compterait pas le prix de l’enfant), les deux femmes étendues sur des banquettes ou des chaises, la veuve et le garçon sur le billard, à même le drap vert, la veuve retirant seulement son chapeau, pliant le voile qu’elle posa en coussin sur son sac dont elle avait fait un oreiller au garçon qui s’endormit au contact rugueux et rêche du crêpe, pouvant sentir son odeur, comme rêche elle aussi, et le pesant corps de pierre étendu le long du sien. La salle de billard n’était séparée du troquet que par une cloison de bois surmontée de panneaux de verre dépoli par-dessus lesquels jusque tard dans la nuit arrivait un bruit de verres entrechoqués et de voix avinées.

Claude SIMON (L’Acacia)
chap. I., p. 1012-13, La Pléiade, vol. II

Samedi 31 octobre. Toussaint au Jardin des plantes.
À plusieurs reprises ce mois-ci, je croisai le chemin d’écriture de Claude Simon. Je me demande pourquoi je mis si longtemps à le faire. Je pourrais trouver mille explications, mais il a fallu attendre un jour (après 2009) pour cette première rencontre, avec la lecture de L’Acacia, offert par un ami. La lecture, main ou un flambeau que l’on tend, que l’on transmet. Mais lorsque je cherchai aujourd’hui ce livre (éditions de Minuit, en poche), je ne le trouvai pas ; il me revint en mémoire que je ne l’avais ni perdu, ni prêté, mais donné. Alors je retournai au volume de la Pléiade acheté il y a 2 ans (l’amour du Tout et du papier bible) avec la crainte de le mettre en charpie, tant on peut faire corps avec un livre.

J’y puisai les deux citations mises en exergue ici : l’exergue lui-même, choisi par Claude Simon (concordance, mélange, lien indissoluble des temps) et un extrait du premier chapitre de L’Acacia qui relate le voyage de l’enfant et de deux femmes, à la recherche de la tombe du soldat, le père disparu, tombé au champ d’honneur. Les sens (le bruit, la lumière, les sons, les odeurs), révélateurs de la mémoire incarnée, le corps pétrifié de la mère gisante, auprès de l’enfant, le fil d’une écriture comme un souffle long dont on épouse le rythme. Et puis la description, et un peu plus loin, l’archive en matériau (bribes, fragments, cartes postales achetées, héritées, feuilletées, assemblées, qui accompagnent et fondent l’écriture et parfois deviennent son objet), les entrelacements en chapitres pairs et impairs de deux histoires et de deux temps et jusque dans l’incroyable longueur du premier paragraphe en une seule phrase et 158 mots : je me sentais chez moi, je me trouvai chez lui.

dimanche 1er novembre, franges du Bray
Il y eut comme une fulgurance qui composait une suite à une question : Claude Simon, la première fois ?, au lendemain d’une promenade dorée au Jardin des plantes. Sur les débords du lambris d’appui, le soleil est venu, l’espace d’un instant, frapper deux objets de verre en lumière rasante contre le mur de chaux. Il y avait un vase à fleurs, jaune comme l’or des feuilles des immenses Ginkos du Jardin (mémoire vive des couleurs en imprégnation) et un flacon de verre à bouchon entortillé de fer. Les deux ombres projetées faisaient gardes obliques autour du flacon. Stries, irisations, feuilletés-étirés, la matière de l’objet en stratigraphies projetées, explosion de passé en lumière solaire.

Du vase jaune, il n’y a rien à dire hors le jaune. Du flacon de verre transparent, il y aurait tout, de son voyage à travers la France, de port en port, et qui n’est qu’une partie de son histoire, de son séjour dans un grenier de cette petite ville du Languedoc septentrional où, perchée sur un escabeau, je vis un jour passer la chienne Laïka au milieu des étoiles. Il y avait là un saloir, qui gardait des odeurs de cochon, une cachette à taille d’homme aménagée entre des cloisons de bois, des sacs de jute rêche (faisant écho au crêpe rêche) remplis de pignes de pin (noir) ramassées à l’automne pour allumer les poêles (odeurs de résine et de suie). Le flacon désigné alors comme bouteille-à-lait (mais en était-ce un ?) était là-bas, au sol, abandonné à la poussière. Je n’aime la brocante-archive que de ma propre vie, vie tranquille des objets qui berce mes intranquillités.

 Avec son aimable autorisation, nous reprenons ici le texte et la photographie publiés par Hélène Verdier sur son blog Simultanées.

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Verdier, Hélène