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Gerhard Dörr. Le Colloque de Cerisy-la-Salle en 1974

mercredi 19 février 2014, par Christine Genin

Le Colloque de Cerisy-la-Salle en 1974

Un témoignage de Gerhard Dörr, quarante ans plus tard

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 les actes du colloque

Le téléphone sonne. À l’autre bout, c’est Claude Simon. Il me signale qu’un colloque « Claude Simon » aura lieu à Cerisy-la-Salle, dans peu de temps. Les places sont rares ; il faut m’inscrire aussitôt. Je fréquente l’auteur depuis trois ans ayant publié un des premiers entretiens pour le faire connaître à un public allemand.

Les réunions à Cerisy, dans le Cotentin, font suite aux décades de Pontigny, en Bourgogne, dirigées autrefois par Paul Desjardins dont la fille, Anne Heurgon, a pris la relève. Le tout est organisé par Jean Ricardou, sous les auspices de Maurice Gandillac, maître de céans. Durant la semaine du 1er au 8 juillet 1974, une vingtaine de communicants sont invités, ainsi que Claude Simon lui-même. On se retrouve dans un petit château du XVIIIe siècle, un peu perdu dans le bocage normand et aménagé pour ce genre de rencontres. Je partage ma chambre avec Jean-Claude Liéber, le futur spécialiste de Robert Pinget. Les communications et les discussions fort vives se suivent à une cadence rapide et sont enregistrées presque dans leur totalité. Pendant les « entractes » - pause-café à l’extérieur – les discussions continuent de façon plus décontractée : pas d’enregistrement, pas d’animateur de colloque omniprésent. Dans son laïus d’accueil, Ricardou, admiré autant que redouté, insiste sur la libre parole, la tolérance – enfin, le libre échange des idées. Cependant, c’est lui qui se révèle en fin de compte un esprit intransigeant à tout ce qui ne correspond pas à sa théorie de littérature. Pour lui, il n’y a qu’un seul ennemi à combattre : « l’idéologie dominante » - formule terriblement simplificatrice qui déclenche, on s’en doute, des remous dans l’assistance. Ricardou sait créer en un tournemain un tel clivage qu’une vraie révolution de palais éclate au milieu du colloque. Même le vocabulaire est à l’heure de la Bastille. Citation généralisée et atténuée : « (...) c’est inévitable avec n’importe quel animateur de colloque : au bout d’un certain temps, quelqu’un veut avoir sa tête ». Les attaques sont telles que Ricardou refuse l’enregistrement de la discussion houleuse. À chaque communication sur la problématique de l’écriture simonienne Ricardou intervient en remontant loin.

Et Claude Simon dans tout cela, lui qui est présent du début à la fin ? Devant les micros, il ne se prononce pas, sauf pour corriger tel ou tel fait. On lui réserve le dernier mot : « Claude Simon, à la question ». La diversité des questions posées ne permet point d’en faire un quelconque résumé. Mais les quelque trente pages des actes, consacrées au ballet de question-réponse fait montre de l’argumentation subtile de l’auteur et de sa patience sans fin vis-à-vis des positions controversées. D’un côté, Simon se voit confirmé par la notion de « travail » appliquée à sa création ; de l’autre, il récuse nettement le terme « idéologie dominante ». Sans ambages, il constate que l’esprit conservateur, même réactionnaire se manifeste, dans tous les domaines de l’art, toujours aux moments de nouvelles expériences. Il persiste à souligner qu’il n’est pas tombé sous le joug de la théorie, après la publication de La Bataille de Pharsale. Outre la valeur de témoignage dans ses romans, il souligne la part dominante de la fiction. On apprend, par exemple, que Triptyque a été conçu auparavant comme un diptyque, et que la structure de La Route des Flandres est le résultat d’un schéma obéissant à un jeu équilibré de couleurs en fonction soit des personnages soit des situations.

Ce premier colloque international consacré exclusivement à Claude Simon fonctionne comme un signal de départ pour la recherche sur son œuvre. Toujours est-il qu’il est surtout marqué par une certaine théorie du roman frôlant le terrorisme littéraire. Cela est dû à Jean Ricardou qui, tout en monopolisant la parole pendant le colloque, n’a pas su, par la suite, imposer sa doctrine. Les participants de Cerisy 1974 se sont rendu compte, à la fin, de se trouver à la croisée décisive des chemins de la critique simonienne.

Gerhard Dörr
Mainz, 2014

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