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je fais donc je suis

dimanche 24 mai 2015, par Christine Genin

Il y a quelques années, le quotidien parisien Libération a posé à un certain nombre d’écrivains la fameuse et sournoise question : « Pourquoi écrivez-vous ? »
Naturellement les réponses ont été diverses, et la plupart se présentaient sous la forme de justifications plus ou moins embarrassées, comme si, pour certains, cette activité était tenue pour quelque peu honteuse et nécessitait des commentaires plus ou moins moralistes (remarquons au passage que cette perfide question est réservée aux écrivains, et qu’on n’a jamais demandé à un peintre pourquoi il peint, ni à un musicien pourquoi il compose...).
Quant à moi, je me souviens d’avoir à peu près répondu que, comme toute activité humaine, celle-là avait aussi des motivations multiples et ambiguës. Si la plus futile (pourquoi ne pas l’avouer ? : Proust lui-même, ce géant, ne reculait devant aucune démarche pour obtenir une critique ou se faire lire par des gens qu’il tenait pour des imbéciles...)... si donc la plus futile de ces motivations, mais qui n’en existe pas moins, est le désir d’être reconnu par la société, d’y justifier sa place et, si possible, avec éclat, je crois que la plus profonde est de justifier sa propre existence devant soi-même par un « faire ». Ce n’est pas le « Cogito ergo sum » de Descartes, mais bien plutôt un : « Je fais (je produis), donc je suis », besoin, me semble-t-il, élémentaire et que ressent tout homme normal en y répondant sous une forme ou sous une autre, que ce soit en faisant venir une récolte, en faisant des affaires, en faisant ou construisant un pont, des machines, en faisant de la recherche, etc.
Pour répondre entièrement à la question, j’ajoutais que si j’avais choisi comme faire l’écriture, c’était parce qu’il m’avait semblé qu’écrire était ce que je réussissais le moins mal (...).

Premiers paragraphes d’ « Écrire ». Conférence rédigée en août 1989 et prononcée en octobre 1989 à l’Université de Boulogne. Reprise dans Quatre conférences, Minuit, 2012, p. 75-76.

Écouter ce passage lu par l’écrivaine Anne Savelli :

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 le blog d’Anne Savelli : Fenêtres open space