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Janvier, Ludovic

lundi 29 février 2016, par Christine Genin

Cette notice sur Ludovic Janvier a été initialement rédigée par Jean-Yves Laurichesse pour le Dictionnaire Claude Simon, Champion, 2013, tome I, p. 510-511.

Né à Paris en 1934, Ludovic Janvier, enseignant et chercheur à l’Université de Vincennes, publie dans les années soixante deux essais marquants aux Éditions de Minuit, Une parole exigeante. Le Nouveau Roman (1964) et Pour Samuel Beckett (1966), que suivra Beckett par lui-même (Seuil, 1969). Il développe par ailleurs une œuvre personnelle à partir de La Baigneuse, roman publié en 1968 chez Gallimard dans la collection « Le Chemin », dirigée par Georges Lambrichs. Il s’orientera plus tard vers la poésie (La Mer à boire, Gallimard, 1987), la nouvelle (En mémoire du lit, Gallimard, 1996, pour lequel il reçoit le prix Goncourt de la nouvelle) et l’autofiction (La Confession d’un bâtard du siècle, Fayard, 2012).

Première étude critique d’envergure sur le Nouveau Roman, Une parole exigeante consacre une vingtaine de pages spécifiquement à Claude Simon, sous le titre « Vertige et parole dans l’œuvre de Claude Simon ». L’étude porte sur les huit livres publiés, par un choix assumé : « Une fois pour toutes nous admettons que l’œuvre de Simon commence avec Le Tricheur, et non avec Le Vent » (p. 90). Tout en prenant acte d’une « rupture de ton » quand apparaît la « façon “Nouveau Roman” », Janvier montre – et ce n’est pas le moindre intérêt de son étude – que « la thématique n’a guère changé depuis les œuvres lointaines jusqu’au Palace » (p. 90). L’approche est marquée par la phénoménologie (il est fait référence aux notes de Merleau-Ponty sur Claude Simon publiées en 1961-1962 dans Médiations), l’écrivain étant d’emblée défini comme celui qui « veut nous rendre présente l’épaisseur du monde telle qu’elle est vécue, sentie, et […] s’attache à dire, à mimer au plus près par le langage la réalité physique de notre présence à l’En-dehors » (p. 89). Mais l’œuvre de Simon ne saurait être limitée à cette « aventure de la Perception ». Elle développe aussi « une problématique de l’individu dans l’Histoire », à partir d’une interrogation initiale : « L’homme est-il capable de faire son Histoire ? » (p. 90). Cette approche plus existentialiste aboutit cependant à une position inverse de celle de Sartre, marquée par un « constat d’impuissance ». L’homme reste « cet individu problématique que le flux des événements finit par entraîner avec lui » (p. 91), soumis à différentes « tentations » : celle de la femme, « femme-gouffre où il est presque fatal de s’endormir et de se perdre » (p. 93), celle de la nature, dans laquelle « tout passe, tout coule, tout pourrit, tout meurt » (p. 96). Tel est le « destin » de « l’anti-héros simonien » (p. 101), toujours « en situation de dérision ».

L’analyse de Janvier n’ignore pas bien entendu la « “révolution” dans l’écriture » inaugurée par Le Vent, non sans l’influence de Faulkner, lorsque « la saisie de l’Histoire et du Temps se fait exemplairement par le seul moyen du langage ». Cette révolution trouve son plein accomplissement « baroque » dans « l’effet d’accumulation, d’entassement » produit par La Route des Flandres, où elle exprime « un monde somptueux et grouillant qui s’écoule comme une humeur et prolifère jusque dans la mort. » (p. 99), dans « l’écriture étouffante, sans relâche, tout d’un flux » (p. 102) qui finit par « noyer » toute individualité. Mais cette abondance verbale n’est pas autre chose qu’une résistance désespérée et magnifique au néant qui menace : « Une phrase s’ajoutant à l’autre, faisant naître d’elle-même un paragraphe, une page, le livre entier, c’est la naissance d’un mouvement irréversible et vertigineux qui donne à l’entreprise de parler la dimension d’une énorme compensation à la perte dont elle nous révèle en même temps le devenir insupportable. Parler, c’est entasser dans le gouffre, même si c’est dire le gouffre. Impuissante à nous rendre présente la totalité, puisqu’elle se creuse sans cesse et se dérobe, l’écriture tente désespérément en s’ajoutant à elle-même, en s’accumulant dans la chute, de saisir et retenir, l’instant de la parole, l’En-dehors et le personnage dans leur chute ensemble » (p. 108). De cette entreprise, l’instrument privilégié est bien le participe présent, que Janvier définit comme « le foret qui s’enfonce dans ce réel, creuse et ramène les parcelles arrachées à l’écroulement général », mais sur le mode d’une «  tentative » vouée à l’échec.

Outre cette étude qui, quelques années avant que ne triomphe l’approche formaliste de Jean Ricardou, ouvre de riches perspectives sur l’imaginaire de l’œuvre et son rapport à l’Histoire, Ludovic Janvier a marqué la critique simonienne par un long entretien avec Claude Simon, souvent cité par la suite, qu’il a réalisé en différé et publié, sous le titre « Réponses de Claude Simon à quelques questions écrites de Ludovic Janvier », dans un numéro de la revue Entretiens en 1972.

Bibliographie
Ludovic Janvier, Une parole exigeante. Le Nouveau Roman, Paris, Minuit, 1964.
Marcel Seguier (dir.), Claude Simon, Entretiens, n° 31, Rodez, Éditions Subervie, 1972.