Association des Lecteurs de Claude Simon

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Deuxième séminaire des jeunes chercheurs : résumés des communications

lundi 13 juin 2016, par Christine Genin

Le 3 juin 2016 a eu lieu le deuxième Séminaire des jeunes chercheurs organisé par l’Association des Lecteurs de Claude Simon à l’Université Paris 8. Les actes de ce séminaire ont publiés en ligne sur Fabula. Voici les résumés de ces communications :

Clément Sigalas (Université Paris IV)
« Claude Simon antirésistancialiste (La Corde raide, Gulliver, La Route des Flandres) »

On sait que les années 1945-1970 furent globalement dominées par le mythe résistancialiste, défini par Henry Rousso comme « l’assimilation de la Résistance à l’ensemble de la nation ». Cette vision épique d’un peuple uni dans le combat n’a cependant pas empêché la parution – voire le succès – de romans offrant une représentation moins glorieuse de la guerre : romans de factures variées, écrits par des auteurs de diverses générations et de bords politiques parfois opposés, de Roger Vailland à Julien Gracq, de Roger Nimier à Robert Merle, d’Emmanuel Bove à Claude Simon. L’objet de cette communication est d’inscrire le premier Claude Simon dans ce mouvement informel de contestation anti-épique, en l’arrachant provisoirement tout à la fois à son « étiquette » de Nouveau romancier et à son statut de « grand écrivain » – statut exceptionnel qui peut conduire à ignorer ce que l’écrivain partage avec son époque.
Il s’agira ainsi de situer de façon originale Claude Simon dans le champ littéraire de l’immédiat après-guerre, au gré de rapprochements thématiques, formels, voire idéologiques, et de montrer de quel terreau politico-littéraire émerge la grande œuvre – ce qui permet à la fois d’en mieux comprendre les conditions de production et la singularité.
On pourra en particulier tracer des liens avec Week-end à Zuydcoote (R. Merle), pour la peinture d’une débâcle ensoleillée et onirique ; avec Marcel Aymé et Roger Nimier, pour la critique de l’humanisme – le Simon de La Corde raide rappelant par moments les provocations de Nimier ; avec les mêmes, ainsi que René Fallet ou Béatrix Beck, pour le tableau des hypocrisies de la Libération ; enfin, avec tous les romanciers cités, pour un certain sens de l’empathie qui, à rebours de la demande d’exemplarité qui traverse la période, invite le lecteur à voir la guerre à travers le regard de l’autre (fictionnel) plutôt qu’à le juger.

Johannes Dahlem (Universität Tübingen / Université Lyon 2)
« L’œuvre de Claude Simon, paradigme esthétique pour une nouvelle écriture de l’histoire »

Aucune œuvre d’un écrivain français ne reflète mieux la transformation subie par le récit historique au cours de ces dernières décennies que celle de Claude Simon. Dans Les Géorgiques et L’Acacia notamment, Simon donne à lire l’histoire, c’est-à-dire la guerre comme une succession désordonnée d’événements contingents et irrationnels. Cette vision se traduit également par la nature du récit historique qui, désormais, ne passe plus par la linéarité et la continuité, mais par le fragment et le « bricolage ». En même temps, le récit est accompagné d’une réflexion métadiscursive sur la possibilité même de représenter l’histoire, d’exprimer par le langage une expérience qui, en fin de compte, reste « indicible ».
Or, un certain nombre d’auteurs contemporains héritent de ce soupçon à l’égard de l’histoire et du récit historique. Ainsi Philippe Forest, dans Le Siècle des nuages, raconte-t-il l’histoire de son père (comme le fait Simon dans L’Acacia) tout en se posant la question de savoir comment on peut écrire cette vie qui constamment se dérobe. S’il est vrai que L’Imitation du bonheur de Jean Rouaud s’éloigne des principaux thèmes simoniens (le roman évoque l’histoire de la Commune de 1871), nous retrouvons néanmoins la trace du Prix Nobel dans la manière dont le narrateur nous invite dans son atelier d’écrivain, montrant comment son récit historique se fait et se défait au fil de l’intrigue. Dans Waltenberg, et plus particulièrement dans les parties consacrées à la Première Guerre mondiale, Hédi Kaddour abandonne, comme Simon, la linéarité du récit pour faire place à une vision « embrouillée » de l’histoire, une suite d’images incohérentes et de voix polyphones qui mettent en doute, en fin de compte, la puissance unificatrice du récit. Dans notre communication, nous proposons d’étudier de façon plus précise certains de ces aspects afin de montrer dans quel sens l’œuvre de Claude Simon peut être considérée comme le paradigme esthétique d’une nouvelle écriture de l’histoire.

Maud Barthès (Université d’Alabama, USA)
« L’Histoire, la Terre et les Hommes dans Les Géorgiques de Claude Simon et Terra Amata de J.M.G. Le Clézio »

Cette étude propose de dresser des parallèles entre l’écriture de Claude Simon et celle de J.M.G Le Clézio. Les Géorgiques et Terra Amata sont deux ouvrages aux allures expérimentales, qui s’affranchissent du format littéraire conventionnel en empruntant leur liberté au genre du Nouveau Roman. Les deux romans se rejoignent également dans leurs tonalités lyriques, en particulier dans leur évocation du motif tellurique. La Terre est élevée au rang du mythe et elle est envisagée dans sa dualité. Les auteurs représentent sa nature nourricière et fertile mais encore son caractère destructeur et implacable. De plus, cette analyse révèlera la portée totalisante de l’œuvre simonienne et leclézienne, l’attention au sacré et la vision panthéiste des deux auteurs, car l’Homme est singulièrement insignifiant face au cosmos. Simon et Le Clézio exposent l’infinie petitesse de l’homme et minimisent son importance dans un univers où son existence semble être sans cesse remise en question et laissée au hasard. Les deux écrivains décentralisent la place de l’homme qui se retrouve désormais jeté dans les affres d’un espace incontrôlable et impitoyable. Ils se démarquent ainsi d’une attitude anthropocentrique, rappelant dans une argumentation proche de l’écocritique, que l’homme ne peut être qualifié de maître et possesseur de la nature. En effet, les personnages simoniens et lecléziens évoluent dans un monde matériel qui semble destiné à revenir à sa dimension originelle indomptable et non-maîtrisable par l’homme. L’être humain, dans cette forme ontologique précise, se retrouve assailli par les sensations. En outre, le trouble est accentué par le fait que le Temps dans les romans simoniens et lecléziens n’est pas linéaire mais en spirale, cosmique. L’Histoire n’est donc qu’une succession d’épisodes voués à se répéter dans un temps cyclique qui tel Ouroboros tend vers l’infini. Par conséquent, l’humanité subit de plein fouet, sous l’effet de la synesthésie, les attaques du temps dans des univers romanesques qui se font échos et résonances.

Wafa Ben Aziza (Université d’Aix-Marseille)
« L’écriture de l’Histoire au reflet du Temps de l’écriture dans L’Acacia, de Claude Simon et Les Figuiers de Barbarie, de Rachid Boudjedra »

Dans ces deux romans de Claude Simon et de Rachid Boudjedra, l’écriture de la guerre investit une écriture de l’identité généalogique, impliquant la perte des personnages, mais délimitant aussi un espace scriptural qui emprunte la voie de l’inaccomplissement et de l’infini. Par le biais de l’image métonymique de l’arbre dans L’Acacia, l’auteur nous initie à l’instant-éternité, au temps de l’écriture oscillant entre le présent et le passé.
L’écriture de l’Histoire se veut, tel l’art pictural, un tressage romanesque qui implique la logique rétroactive du langage. La nécessité d’un retour sur le passé pour une nouvelle lecture du présent. Tel est le processus utilisé également chez Boudjedra, tout particulièrement dans Les Figuiers de Barbarie, où le retour sur les péripéties de la guerre d’Algérie procède sous la forme d’une remémoration, reposant sur la mémoire vivante du temps passé.
L’écriture de l’Histoire s’opère de manière dynamique bien que son objet soit en apparence figé parce qu’il se situe dans l’accompli. Les deux écrivains juxtaposent des événements éloignés dans le continuum historique et dans l’espace, et ce, par le recours à l’éclatement temporel.
Nous nous proposons d’organiser notre réflexion autour des deux axes suivants :
Dans quelle mesure le pouvoir de l’écriture s’applique-t-il à supprimer toute notion du temps, à écrire l’atemporel et à reconfigurer ainsi une nouvelle vision de l’art ?
Pourquoi l’Art se place-t-il dans l’optique d’une compréhension du monde et paradoxalement révèle l’évidence du non-savoir et du non-être ?

Laura Laborie (Université Toulouse II / UNIL Lausanne)
« Aspects du primitivisme littéraire. Étude comparative des œuvres de C.F. Ramuz et de Claude Simon »

Lors d’un colloque consacré à Ramuz en 1994 à Zurich, Lucien Dällenbach souligne « le primitivisme » de l’auteur vaudois, son goût pour le primordial et l’originel le rapprochant de Claude Simon. Rejet de l’illusionnisme, omnipotence des sensations brutes, force des images organiques caractérisent tout autant l’œuvre ramuzienne que simonienne. Par ailleurs, les changements esthétiques propres à la modernité littéraire semblent entretenir un rapport privilégié avec la représentation du primitif : qu’il revête un aspect thématique (le personnage de l’idiot par exemple), narratif (absence de liens de causalité, perception phénoménologique du monde), poétique (langue normative laissée de côté au profit d’une écriture « maladroite », volontairement chaotique), ce motif bouscule les modèles épistémologiques alors en vigueur. De façon remarquable, Ramuz et Simon confèrent une même force autonome, souvent animiste, aux éléments naturels, pour lancer un défi à l’humanisme plaçant l’Homme au centre du monde et mener une réflexion clairvoyante sur la crise civilisationnelle s’amorçant à la suite des grands conflits mondiaux.
Si le rapprochement de ces deux auteurs ne va pas de soi, (l’auteur vaudois est trop souvent étiqueté comme un écrivain régionaliste, tandis que Simon est encore réduit au formalisme du Nouveau Roman), l’étude du primitivisme permettra de révéler les liens qui les rattachent mais aussi les divergences, fruits féconds délimitant les espaces imaginaires de chacun. Cependant, cette notion engendre quelques problèmes définitoires : terme allogène, spécifique au domaine des beaux-arts, le primitivisme est un néologisme apparu à la fin du XIXème siècle, désignant « l’imitation des primitifs » ; le laconisme de cette définition invite à réinterroger le terme « primitif », tout en s’intéressant à ce courant de pensée, à l’histoire longue et variée, mais qui, néanmoins, prend une forme inédite au cours du XXème siècle.

Olivier Kahn (Université Paris 8)
« Singularité de la genèse simonienne »

Pierre-Marc de Biasi fait état dans La Génétique des textes [1] de deux « grands types d’écriture littéraire » qui permettent d’établir, à la lecture de leurs manuscrits, un partage entre écrivains. Il y aurait d’une part, ceux qui, ne pouvant s’en passer, travaillent à partir d’un canevas précis, selon le principe d’une « programmation scénarique » avant d’entrer dans la phase de textualisation. D’autre part, ceux qui entrent de plain-pied dans la phase de rédaction sans le préalable d’une phase de planification suivant la méthode d’une « structuration rédactionnelle ». Or, la connaissance de Claude Simon, à travers ses nombreux commentaires sur l’écriture de ses romans, qui seraient essentiellement conçus pas à pas suivant un schéma général du trajet élaboré a posteriori, nous amènerait de prime abord à le ranger sans trop d’hésitation dans cette seconde catégorie. Mais quelle n’est pas notre surprise, à la lecture des manuscrits de ses romans, de découvrir que cette catégorisation, qui semblerait s’imposer, ne laisse pas d’être sans cesse remise en question, à tel point que nous sommes tentés de créer à son propos une nouvelle classe qui serait celle des écrivains à structuration rédactionnelle programmée. En effet, dès les premiers feuillets du manuscrit, on est frappé de trouver des listes, titres, intitulés de certains brouillons : « Parcours, Scénario », de la présence de nombreux sous-plans réunissant dès l’avant-texte plusieurs fragments les constituant dès leur genèse en entités solidaires qui plaideraient plutôt pour l’appartenance de l’auteur à la première catégorie. Écriture de fragments, notes (entre notes documentaires et fragments), citations, coexistent sur un même feuillet, de même que coexistent sur un autre, fragment rédigé, sous-plan, titres et listes. Un double mouvement conjuguant rédaction puis programmation de même que programmation puis rédaction habite le geste d’écriture dès la genèse du texte sans qu’il soit véritablement possible de déterminer lequel de ces deux mouvements précède ou engendre l’autre. C’est cette singularité conceptuelle que nous allons commenter à partir de la lecture des premiers feuillets du manuscrit du Jardin des Plantes.

Julien Praz (Université de Genève)
« Qualités fondamentales dans l’incipit des Géorgiques (Claude Simon : Esquisse préparatoire pour un premier paysage) »

C’est une lecture essentiellement thématique de l’incipit des Géorgiques que je souhaiterais présenter. Ce passage a déjà fait l’objet de plusieurs réflexions critiques, dont deux me semblent essentielles : celle de B. Ferrato-Combe [2] qui y voit un texte programmatique énonçant de manière condensée les principes esthétiques du roman et celle de M. Créac’h [3] qui le lit au contraire comme un repoussoir, un aperçu de ce que l’esthétique du roman n’est pas. Je me propose d’envisager ce texte pour lui-même en une approche largement inspirée des critiques phénoménologiques de J.-P. Richard et de G. Bachelard. Je n’envisagerai donc pas cet incipit comme un exemple ou un contre-exemple de ce que devrait être selon Claude Simon une œuvre littéraire – c’est-à-dire comme un écrit théorique dissimulé derrière l’écran d’une fiction – mais simplement comme un texte poétique. Il s’agira alors de décrire dans sa singularité la conscience créatrice qui a fait (et s’est faite par) ce texte. Cette conscience derrière l’œuvre, on l’atteindra par l’étude de ses affinités électives, c’est-à-dire en distinguant, parmi l’infini des possibles, les quelques qualités qu’elle a privilégiées, qu’elle a choisies parce qu’elle les vit avec bonheur ou qu’elle en repousse avec effroi le contact dysphorique. Ainsi, le stable, le distinct, le régulier ou encore le plein et l’inconsistant apparaîtront comme les constituants fondamentaux d’un premier paysage simonien. Peu importe que celui-ci s’oppose à d’autres paysages, par ailleurs davantage étudiés, qu’on lit dans le reste de l’œuvre ; il existe et témoigne par là même des contradictions internes à toute rêverie créatrice. Je tenterai néanmoins de mettre en perspective ce paysage que ma lecture aura dégagé avec ceux qu’on connaît déjà chez Simon pour esquisser le parcours de cette rêverie passant d’un paysage à un autre. Terminons par dire que mon approche (en rien inédite mais néanmoins peu courante surtout dans le champ des études simoniennes) a au moins deux vertus. D’une part, elle propose, je l’ai dit, une critique phénoménologique, je devrais dire : une critique véritablement phénoménologique de l’œuvre simonienne. Combien de commentateurs se sont contentés dans une lecture qu’ils voulaient phénoménologique de plaquer simplement les thèses de Merleau-Ponty sur le texte de Simon, de faire d’une œuvre littéraire l’illustration d’un système, c’est-à-dire de confondre le monde de l’œuvre et le monde réel. Il ne s’agissait là au mieux que de lectures intertextuelles qui en plus plaçaient la littérature sous le contrôle de la philosophie. Mon approche véritablement phénoménologique, c’est-à-dire reposant sur une conception claire du rapport entre le sujet perceptif, le monde extérieur, l’œuvre d’art littéraire et son auteur, permet quant à elle d’aborder le texte de Claude Simon en lui-même dans son irréductible singularité. D’autre part, grâce à ce fondement théorique, déjà largement explicité par J.-P. Richard, elle évite l’écueil si commun de l’acte d’allégeance envers l’auteur. Peu importe ce que Simon a pensé de son œuvre, peu importe ce qu’il en a dit, peu importe si ce premier paysage ne correspond en rien à ce qu’il a voulu faire ; il reste qu’il l’a fait et que ce faisant il s’est fait lui-même. Voilà donc mon projet : prendre le texte au sérieux, y chercher les qualités premières qui portent l’imagination créatrice pour atteindre par l’étude de son imaginaire et dans sa multiplicité ondoyante la conscience, c’est-à-dire la voix propre à Claude Simon.

Barbara Bourchenin (Université de Bordeaux)
« Claude Simon et Lawrence Weiner : écrire l’art et la littérature. Enjeux performatifs, mémoriels et topographiques du langage »

Laboratoire théorique et narratif des années 70, le Nouveau Roman trouve en Claude Simon un représentant de choix. Son œuvre littéraire, prolixe, est également accompagnée de discours, textes et autres conférences qui éclairent la démarche de l’artiste. Mais au-delà de l’éclairage que ces textes apportent au corpus simonien, c’est
tout un pan de la création artistique des années 70 qu’ils peuvent expliciter. En effet, cette communication se propose de revenir sur l’influence que les prédicats du Nouveau Roman (et plus spécifiquement, l’actualisation que les œuvres de Claude Simon en donnent) ont pu avoir sur l’Art Conceptuel (en la figure de Lawrence Weiner particulièrement). Artistes conceptuels et écrivains du Nouveau Roman sont donc contemporains d’un courant minimaliste qui met le langage et l’écrire au cœur de ses préoccupations. Cette pratique de la lettre, remise en cause des caractéristiques du roman traditionnel [4] chez C. Simon, devient chez L. Weiner une véritable « attitude » [5] plasticienne. Depuis les années 60, le « tournant textuel » de l’art soulève des questions autour du caractère visuel du texte et de sa « fabrique ». Il interroge la porosité des pratiques et leur topographie. Il s’agira ici de se demander, en notre qualité de plasticien connaisseur néophyte de l’œuvre de C. Simon, en quoi les préoccupations littéraires de l’auteur trouvent un écho pratique dans les œuvres des artistes Conceptuels. Les démarches parallèles de Claude Simon et de Lawrence Weiner – à travers la question de la description-ekphrastique en particulier, n’érigent-elles pas la faillite de la représentation comme fondement-même de leurs pratiques respectives ?
Ses dernières se recoupent selon nous en trois axes que l’on se propose d’explorer successivement :
1. Le premier interroge l’utilisation de la description, de l’énoncé simple comme « épure phénoménologique » dans l’œuvre de C. Simon. Cette épure, ne la retrouve-t-on pas dans les Statements lapidaires de L. Weiner ? Souvent tautologiques, ceux-ci se veulent factuels, descriptifs. Ils rejouent une pratique littérale minimaliste qui peut sembler, dans un premier temps, s’opposer aux conceptions ekphrastiques simoniennes. La minutie de l’écriture descriptive – même dans sa forme la plus concise, déjoue les poncifs de la représentation et
2. Par ailleurs, si la relation de l’écriture à la mémoire (et à l’anamnèse plus précisément) chez Claude Simon est établie depuis longtemps, ne peut-on pas envisager l’art conceptuel de L. Weiner comme une crise de la mémoire ? Le Nouveau Roman est concomitant, après les bouleversements après-guerre, de la mise en place d’une « Nouvelle Histoire ». De la même manière, l’Art Conceptuel renouvelle, après les bouleversements des avant-gardes historiques, un panel
d’attitudes artistiques. Ces renouvellements ne sont possibles que moyennant une certaine temporalité de la création : une « présentification » des phénomènes énoncés. L’étude de la mémoire (souvent catalysée par le phénomène visuel chez C. Simon) peut paraître étonnante chez L. Weiner. Elle implique de nuancer l’attitude froide et intellectuelle que l’on attribue souvent aux artistes conceptuels : L. Weiner fait évoluer la pratique conceptuelle de l’art vers une pratique typographique qui matérialise dans le monde sensible ses Statements.
3. Enfin, à l’attitude performative et mémorielle s’adjoint un enjeu topographique d’inscription de sa pratique créatrice. Qu’entendre par là ? Chez C. Simon comme chez L. Weiner, l’écrire est un travail réflexif. C’est une pratique qui, littéraire ou plastique, se définit dans une certaine auto-référentialité. La pratique typographique de L. Weiner évoquée à l’instant fait de l’artiste un créateur de « signes linguistiques ». La nécessaire monstration et diffusion de l’art en passe par la production de visible (de la même manière, un écrivain, s’il veut être lu et reconnu, doit produire du texte imprimé). Les exigences muséales influencent donc l’évolution de la pratique conceptuelle dématérialisée de l’artiste : elles
brouillent les limites entre art et littérature.
Les enjeux performatifs, mémoriels et topographiques du langage à l’œuvre dans les pratiques des deux hommes nous laissent entrevoir la construction d’un travail comparatif qui s’attachera à mettre en évidence les nuances et spécificités de chacune.
Voir aussi le livret édité à l’occasion de cette communication.

Les photographies sont dues à Vincent Berne.


[1Pierre-Marc de Biasi, La Génétique des textes, Paris, Nathan, 2000.

[2Brigitte Ferrato-Combe, Écrire en peintre : Claude Simon et la peinture, ELLUG, Grenoble, 1998 p. 96-100

[3Martine Créac’h, « Le prologue des Géorgiques : une théorie du dessin ? », in Cahiers Claude Simon, n° 9, Presses universitaires de Rennes, Poitiers, 2014, p. 75-84

[4Le Nouveau Roman tente une remise en cause et un abandon des caractéristiques du roman traditionnel
telles que : la conception du personnage balzacienne, la notion d’intrigue, ou encore l’omniscience de l’auteur. C’est également un moyen de remettre en question l’ « effet de réel » Barthésien que le roman
réaliste promeut.

[5Nous faisons ici référence à l’exposition d’anthologie de Harald Szeemann : « Quand les attitudes deviennent forme » (« When attitudes become form : live in your head »), Kunsthalle de Berne, 1969