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Claude Simon. Nord’, 68, 2016

samedi 21 janvier 2017, par Christine Genin

nord’. revue de critique et de création littéraires du nord/pas-de-calais
n° 68, décembre 2016
Études réunies et présentées par Frédérique Péron

sommaire

dossier : Claude Simon
Frédérique Péron. Présentation générale. p. 5-7
Frédérique Péron. Repères bibliographiques. p. 9-12
Jean-Yves Laurichesse. « « Mai qui fut sans nuage... ». Mélancolie de la route des Flandres chez Claude Simon ». p. 13-22
Aurélie Renaud. « Le rose et le noir : la mort derrière le paravent ». p. 23-30
David Zemmour. « Les Nord de Claude Simon : à la recherche d’un tropisme septentrional ». p. 31-42
Minna Leppäaho-Kotimäki. « Une temporalité sédimentaire :
l’expérience moderne du temps chez Claude Simon ». p. 43-53
Rémi Plaud. « L’analogie dans Triptyque de Claude Simon :
un appareil de construction pélasgique ». p. 55-66
Hannes de Vriese. « Donner vie aux « postures figées et privées de la magie du mouvement » : photographie et poétique des corps conducteurs dans Le Tramway de Claude Simon ». p. 67-79
Frédérique Péron. « L’Acacia (1989), d’une naissance à l’autre ». p. 81-91
comptes rendus. p. 93

Présentation générale par Frédérique Péron

Il n’est pas certain que les œuvres de Claude Simon, qui reçut le prix Nobel de littérature en 1985, figurent en bonne place, même aujourd’hui, sur les rayons de nos bibliothèques. Le hasard du calendrier veut que peu avant la parution de ce numéro, se sera tenu un colloque portant sur « Claude Simon et l’expérience de la complexité ». La question de savoir pourquoi Clause Simon a la réputation d’être un auteur « difficile » n’est pas nouvelle, mais fait l’objet de préoccupations toujours actuelles. La critique a souligné que la « complexité », terme préférable à celui de « difficulté », ne tenait pas tant aux œuvres elle-mêmes qu’à la façon dont l’écrivain tentait de rendre compte de son époque, marquée par les cataclysmes que furent les deux guerres mondiales : ce que ses romans
révèlent et que d’autres systèmes de représentation échouent à exprimer, ne peut se faire qu’en rompant avec les formes romanesques traditionnelles, donc en bousculant nos habitudes de lecture. Beaucoup de choses ont été dites à ce sujet, nous n’y reviendrons pas, mais nous bornerons à rappeler une interrogation qui scande La Route des Flandres et pourrait servir de leitmotiv à l’ensemble de son œuvre : « Mais comment savoir ? Que savoir ? »

La Route des Flandres (1960) : ce titre, à lui seul suffisait à justifier le lien de Claude Simon avec le Nord, lien réaffirmé à la fin de sa vie avec Archipel et Nord, d’autant que le « vécu », au fondement de son écriture, lie directement ou indirectement l’écrivain à cette région du Nord, ou à ce pôle, ou à ce point cardinal… Nombre de ses œuvres s’y réfèrent. Mais on l’aura compris, il y a peu de chance pour que ce nord soit simplement « rapporté ». Il est « écrit », ressenti, imaginaire. Il est indissociable d’autres éléments de la poétique simonienne. C’est donc à l’ensemble de l’œuvre de Claude Simon que les contributeurs de ce numéro étaient invités à se reporter pour nous faire partager leur
passion et l’expérience de leur lecture. Les thèmes majeurs de cette œuvre sont le souvenir, le désordre, la mort, ce qui n’empêche pas la présence de l’humour ou de la dérision, venus contrebalancer le pathétique. L’écriture, pour Claude Simon, est soumission aux mots. L’écrivain vit avec intensité les analogies. Au lecteur d’adapter sa façon d’appréhender les textes romanesques et de se laisser séduire par leur beauté, leur « phrasé incomparable », comme le souligne Jean-Yves Laurichesse.

Le principe d’organisation du dossier s’est de lui-même imposé : celui de la
polarité. Le nord appelle le sud, la perte la restitution, le souvenir l’oubli etc… Nous pourrions énumérer ces antagonismes. Plus que de simples oppositions, ces termes antagonistes constituent une dynamique puissante à l’œuvre dans les romans de Claude Simon. Cette dynamique, de plus, s’enrichit des effets permanents d’analogie, de contrepoint à l’intérieur d’un même roman ou d’un roman à l’autre.

Le dossier s’ouvre par « “Mai qui fut sans nuage…” Mélancolie de la route
des Flandres chez Claude Simon », de Jean-Yves Laurichesse. L’auteur rend compte, dans l’ensemble de l’œuvre de C. Simon, d’une vision du Nord « à la fois subjective et emblématique ». Il montre comment se constitue progressivement un imaginaire du Nord dans les romans simoniens. Celui-ci obéit à deux données de fait : le choix d’un nord transhistorique, mythique, et la difficulté de communiquer une expérience. L’aboutissement de l’étude conduit à l’idée que pour Claude Simon, « la révélation de la route des Flandres » est l’affirmation de la pulsion de vie : « L’arène ensoleillée du Nord, écrit J.-Y. Laurichesse, espace mortifère de toutes les batailles, aura ainsi permis, paradoxalement, l’affirmation tragique de la vie. »

« Le rose et le noir : la mort derrière le paravent », d’Aurélie Renaud, s’intéresse à l’imaginaire espagnol présent dans Histoire et dans L’Acacia. Nous voici projetés à l’opposé – au sud, à la faveur d’une certaine image pittoresque de l’Espagne, proche d’une Espagne d’opérette, l’espagnolade. C’est ici la figure maternelle du narrateur qui est en jeu. La réalité, derrière les clichés, les cartes postales, est loin d’être « rose »…

Suit, au rebours de l’étude précédente et en écho à la première, « Les Nord de Claude Simon : à la recherche d’un tropisme septentrional » de David Zemmour. L’auteur s’interroge sur la question de savoir si le Nord est un motif signifiant dans l’œuvre de Simon : « Y aurait-il une possibilité de continuité entre espace géographique et espace littéraire ? » David Zemmour donne un aperçu complet des Nord présents dans l’œuvre simonienne, et parvient à en déceler l’unité féconde : ils aimantent le regard et l’écriture « dans un geste de questionnement et d’enquête ». Le Nord « oriente et donne vie à l’œuvre, de même qu’il anime l’aiguille vibratile de la boussole. »

Minna Leppäaho-Kotimäki, mène une étude sur la temporalité des romans de Claude Simon, intitulée : « Une temporalité sédimentaire : l’expérience moderne du temps chez Claude Simon ». L’auteure défend la thèse selon laquelle les romans de C. Simon présentent une évolution allant de la problématisation de la temporalité à l’existence d’une « temporalité moderne tardive ». Elle s’appuie sur L’Herbe (1958) et sur Le Tramway (2001) – deux pôles temporels – pour mieux montrer la rupture qui s’est opérée dans la conception du temps de l’écrivain, visible tant au plan thématique que structural. À une simple altération de la confiance en l’avenir, se substitue une « vision moderne tardive de temps », caractérisée par le discontinu et le fragmentaire : le temps se présente sous une forme sédimentaire, emblématique de la perte des certitudes.

« L’analogie dans Triptyque de Claude Simon : un appareil de construction pélasgique », de Rémi Plaud, met en évidence comment se structure « une continuité disruptive » dans le roman de 1973, grâce à l’analogie. L’intervalle qui sépare les éléments de l’analogie, comme pour une construction pélasgique, reposant sur le vide mais dont les éléments sont harmonieusement disposés, « assure la stabilité de l’édifice ». Les parties de l’édifice « jouent » entre elles au sens où un mécanisme présente un « jeu » entre ses éléments. C’est alors que des pôles opposés, telle la mort et la vie, se répondent et signifient. L’hypothèse
proposée par l’auteur ouvre des perspectives stimulantes.

Hannes de Vriese, dans « Donner vie aux “postures figées et privées de la magie du mouvement” : photographie et poétique des corps conducteurs dans Le Tramway de Claude Simon », constate que dans Le Tramway, le dernier roman de Simon, le rappel du passé s’accompagne d’une attitude face à la mort et à l’oubli plus apaisée que dans les romans précédents. La fiction a ici pour but non pas de restituer mais de « dynamiser » les images, leur donner vie. Elle joue le rôle d’un corps conducteur, grâce auquel les vieilles photographies s’animent. L’écriture prodigue la vie. C’est ce que montrent de façon infiniment suggestive ses analyses.

Pour notre part, dans « L’Acacia (1989), d’une naissance à l’autre », nous nous efforçons de montrer que le matériau biographique est orienté vers la figure du père. Mais ce qui relève d’une motivation profondément intime est aussi le moyen d’expliquer une vocation d’écrivain. Celle-ci suppose un arrachement aux constructions imaginaires et mythiques engendrées par le manque.

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Péron, Frédérique