Association des Lecteurs de Claude Simon

Accueil > Claude Simon > Iconographie > Les cartes postales d’Histoire

Les cartes postales d’Histoire

dimanche 10 février 2013, par Christine Genin

La collection de cartes postales de la mère de Claude Simon occupe une place centrale dans Histoire :

« J’avais trouvé un stock de cartes postales, où je reconnaissais une correspondance de mon père fiancé avec ma mère. Je savais depuis longtemps l’existence de ces cartes, et tout à coup j’ai eu envie de les décrire, de les raconter. J’ai publié une quinzaine de pages là-dessus dans Tel Quel, au cours de l’hiver 1964. J’ai repris ce petit texte avec l’intention de le développer un peu et il est devenu ce roman de quatre cents pages » (Claude Simon, « Le roman se fait, je le fais, et il se fait », entretien avec Josane Duranteau, Les Lettres françaises, 13-18 avril 1967).

Rassemblées et classées dans une boîte, les cartes postales conservées par la mère de Simon, forment une collection d’environ 360 cartes. Elles ont été utilisées pour Histoire dans des proportions très variables : Claude Simon retient surtout d’une part les cartes envoyées par son père Louis à sa mère Suzanne entre juin et septembre 1908 (alors qu’ils ne sont encore que fiancés et qu’il sert dans les colonies) et d’autre part les cartes correspondant à la période 1912-1914, où le couple marié vit à Madagascar.

ces cartes postales qu’il lui envoyait ne portant le plus souvent au verso dans la partie réservée à la correspondance qu’une simple signature au-dessous d’un nom de ville et d’une date par exemple :
« Colombo 7/8/08
Henri »
et au recto (quand elle — la jeune fille qu’elle avait été — avait lu le nom de la ville la date la signature et qu’elle retournait la carte, elle et grand-mère assises l’une en face de l’autre devant leurs minuscules tasses de ce chocolat à l’espagnole qui leur détraquait le foie, si épais (recommandait-elle aux domestiques) que la petite cuiller d’argent devait rester toute droite sans s’incliner ni tomber sur le bord lorsqu’on la plantait dedans — ou encore, l’été (la carte de Colombo datée d’août avait dû l’atteindre alors que comme chaque année elles étaient déjà parties s’installer à la propriété) dans le jardin étincelant, vêtue d’un de ces flasques et austères peignoirs à collerette boutonnés jusqu’au cou aux pans traînant par terre et évasés comme une corolle, de sorte qu’avec sa coiffure à coques et chignon imitée des estampes japonaises son visage un peu gras vierge de hâle on aurait dit quelque délicate tête de porcelaine blanche et noire surmontant un pavillon de phonographe posé à l’envers)
… au recto donc, un port, le palais d’un gouverneur, la salle à manger d’un paquebot, le lac argenté scintillant d’obscurs palmiers aux troncs couchés sur l’eau une pirogue, avec, comme légende, Fishing by Moonlight on the Colombo Lake
fragments, écailles arrachées à la surface de la vaste terre : lucarnes rectangulaires où s’encadraient tour à tour des tempêtes figées, de luxuriantes végétations, des déserts, des multitudes faméliques, des chameaux, ou des indigènes à peine nubiles aux poitrines nues, déguisées en porteuses d’eau ou en joueuses de tambourin et posant, mornes, moites, avec leurs oripeaux de camelote, leurs regards sauvages et leurs seins tripotés, devant l’objectif de photographes chinois ou cairotes opérant pour le compte de maisons de commerce anglaises « Singhalese Girl, carrying water chatty », le monde bigarré, grouillant et inépuisable pénétrant ou plutôt faisant intrusion, insolite, somptueux, mercantile, brutal, dans cette forteresse inviolée de respectabilité et de décence
(Histoire, Minuit, 1967, p. 18-20. Réédition Double et numérique en 2013)

les cartes postales d’Histoire exposées à la BPI

Mots-clés

Cartes postales  Histoire