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Bacon, Francis

lundi 11 novembre 2019, par Christine Genin

Francis Bacon (Dublin, 28 octobre 1909 - Madrid, 28 avril 1992)

Le Centre Pompidou consacre en ce moment une belle exposition, Bacon en toutes lettres, aux rapports du peintre Francis Bacon avec la littérature.

Claude Simon a visité, le 27 décembre 1971 et une seconde fois le 5 janvier 1972, la grande rétrospective consacrée à Francis Bacon au Grand Palais à Paris en 1971-1972. Parlant de la génèse de son roman Triptyque, il affirme lors du colloque de Cerisy portant sur son œuvre en 1974 :

« à l’automne 1971, a eu lieu à Paris la grande retrospective de Francis Bacon dont non seulement la peinture m’a fortement impressionné, mais dont certaines œuvres avaient pour titre Triptyque, titre et principe que j’ai trouvé en eux-mêmes tellement excitants que j’ai décidé d’adjoindre à mes deux premières séries une troisième, celle de la station balnéaire, inspirée d’ailleurs elle-même par les toiles de Bacon. (...)
Je propose un mode de lecture en évoquant ces peintures composées de trois volets qui représentent quelquefois des scènes totalement différentes et quelquefois un ensemble homogène (la vie d’un même saint). Mais ce qui fait l’unité de ce genre d’œuvres, c’est une unité de nature picturale, c’est, disons, que tel rouge en haut du volet de gauche peut renvoyer à tel rouge ou encore à tel vert en bas de celui de droite, si bien que les trois tableaux sont composés de manière à n’en former qu’un seul. Cette harmonie des couleurs et ces renvois de l’un à l’autre, voilà ce qu’indique le titre Triptyque, du moins dans mon esprit. » (« Claude Simon, à la question », Lire Claude Simon, p. 425 et 427).

Il évoque principalement, dans la « série » balnéaire de Triptyque :

Simon interroge de très près la technique propre aux tableaux de Bacon, écrivant par exemple :

« Selon une technique classique, l’artiste, à l’aide d’un rouge de Venise qui s’éclaircit jusqu’au rose sur les reliefs, a d’abord modelé le corps en camaïeu, en détaillant avec soin l’anatomie comme sur ces planches des anciens traités de peinture, modelant chacun des muscles en forme de fuseaux ou de lanières qui s’entrelacent, se croisent et s’imbriquent les uns dans les autres. C’est seulement ensuite [...] que sur cette préparation minutieuse il a posé les glacis des demi-teintes, d’un vert transparent et les lumières empâtées, couleur chair ou nacrées. Distribués avec fougue, les larges coups de brosse laissent apparaître par endroits la préparation sanglante qu’ils ne recouvrent pas totalement. Ajoutées d’un pinceau nerveux, des touches de vermillon pur ou éclairci cernent les contours des orteils, les talons abricot, avivent la peau des coudes. Soit que l’esprit du peintre ait été surtout accaparé par le corps, soit qu’il ait soudain abandonné sa toile, il a négligé de recouvrir le visage qui apparaît comme une masse sanguinolente où se dessinent la structure osseuse, les maxillaires, et où brillent les dents découvertes. » (Triptyque, p. 81-82).

Il s’attache également à décrire la qualité d’angoisse qui se dégage des œuvres de Bacon :

« La peinture de Bacon me fascine. Toute une partie de Triptyque, à commencer par le titre, sort d’un tableau - d’un triptyque de Bacon. Ce qu’il y a de passionnant chez lui, c’est l’angoisse qui sort de toutes ces... histoires, justement. En somme, sans répudier la figuration et tout en ne cessant pas de faire de la peinture, il parvient à dire « la marquise sortit à cinq heures ». […] Bacon réussit cet équilibre : faire justement en sorte que l’histoire ne déborde pas la peinture et que la peinture ne déborde pas l’histoire. Par ailleurs, il ne saurait nier que tous ses tableaux sont l’histoire d’une angoisse. […] il y a une « histoire », il y a une angoisse sensible dans toutes ses toiles et c’est pourtant, encore et merveilleusement de la peinture ! » (entretien avec Jo van Apeldoorn, 1979, p. 104-105).

Il est, enfin, fascinant de constater à quel point la notion d’ « imagination technique » utilisée par Francis Bacon pour décrire son travail de peintre est proche de la façon dont Claude Simon évoque son travail d’écrivain :

« Je ne dessine pas. Je commence à faire toutes sortes de taches. J’attends ce que j’appelle « l’accident » : la tache à partir de laquelle va partir le tableau. […] J’ai beaucoup cherché comment appeler cette façon imprévisible avec laquelle on va agir. Je n’ai jamais trouvé que des mots-là : imagination technique. Vous comprenez, le sujet est toujours le même. C’est le changement de l’imagination technique qui peut faire se « retourner » le sujet sur le système nerveux personnel » (« Marguerite Duras s’entretient avec Francis Bacon », La Quinzaine littéraire, 16-30 novembre 1971, p. 16-17)

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Mots-clés

Bacon, Francis  Triptyque