Association des Lecteurs de Claude Simon

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Hommage à Eva Moldenhauer (1934-2019)

vendredi 10 mai 2019, par Christine Genin

Eva Moldenhauer (20 septembre 1934 – 22 avril 2019)

Traductrice de Claude Simon en allemand

Eva Moldenhauer à l'Ambassade de France à Berlin en 2012

Dans les pays de langue allemande, les lecteurs de Claude Simon ont découvert la plus grande partie de son œuvre grâce à Eva Moldenhauer. En commençant par La corde raide en 1964, elle a traduit ou retraduit quinze livres du romancier toujours très apprécié par la critique dʼoutre-Rhin : non seulement la plupart de ses romans, du Vent au Tramway, mais aussi des essais littéraires comme le Discours de Stockholm ou les Quatre conférences.

Elle était dʼautant mieux préparée à ce travail portant sur deux genres différents quʼelle connaissait aussi bien le monde des sciences humaines que celui de la littérature. Enracinée dans le milieu intellectuel de Francfort et longtemps proche de la maison Suhrkamp où elle a dirigé avec son mari Karl Markus Michel une importante édition des œuvres de Hegel, elle a traduit du français autant d’ouvrages de théorie que de fiction. Si elle a fait lire au public allemand des romanciers comme Jorge Semprún, Rachid Boudjedra ou Pierre Michon, elle a fait de même pour des anthropologues comme Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss ou Philippe Descola. C’est pour la traduction d’un ouvrage de ce dernier qu’elle a reçu en 2011 le prix Raymond Aron.

Mais il est révélateur que, dans le discours de réception prononcé à cette occasion, elle revienne à ses traductions de Claude Simon qui lui avaient déjà valu d’autres distinctions, par exemple le prix Celan pour Die Akazie ou le prix de la foire de Leipzig pour Das Gras (Lʼherbe). Car elle y présente Simon comme un ethnographe du monde moderne qui loin de dénigrer le référent matériel le met au contraire en valeur dans ses descriptions minutieuses de certains lieux et de certains spectacles. Par conséquent, Eva Moldenhauer a fait des recherches sur place en traduisant Le vent et Le tramway. Ainsi, elle est allée à Perpignan pour y identifier une place évoquée avec l’aide d’un témoin appartenant à la génération de Simon, ou pour reconstruire le trajet du tramway disparu en consultant un album de cartes postales historiques qu’elle avait trouvé, à la grande joie du romancier lui-même, dans l’office de tourisme de Canet-Plage. Afin de rendre exactement les descriptions du tramway dans le roman du même titre, elle a visité un musée consacré à ce véhicule moderne et consulté un journaliste spécialisé dans l’histoire des transports ; et pour mieux saisir les évocations de cavaliers militaires et civils dans La route des Flandres, elle a assisté à une course de chevaux et interrogé une ancienne femme jockey.

Claude Simon a su apprécier cette rigueur historique doublée dʼune grande sensibilité stylistique en écrivant à sa traductrice attitrée que « la traduction n’est pas un simple travail de transcription, comme on le croit vulgairement, mais un véritable travail de production ». Lundi de Pâques, Eva Moldenhauer a dû quitter son atelier à jamais.

Wolfram Nitsch

 Eva Moldenhauer avait écrit un témoignage intitulé « Dans l’atelier du traducteur » pour le numéro 10 des Cahiers Claude Simon, consacré en 2015 aux traductions de Claude Simon

 Voir aussi : « Claude Simon en Allemagne », colloque organisé à Cologne en 2013