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Claude Simon en Allemagne. Journées d’étude (30 nov.-1 déc. 2013) et exposition à Cologne
jeudi 7 mars 2013, par
Claude Simon en Allemagne / Claude Simon in Deutschland
Journées d’étude (30 novembre/1 décembre 2013) et Exposition
Colloquium und Ausstellung zum 100. Geburtstag des französischen Romanciers
à la Bibliotheca Reiner Speck à Cologne
Kämpchensweg 58, 50933 Köln-Müngersdorf
Organisation : Prof. Wolfram Nitsch, Universität Köln et Prof. Dr. Irene Albers, Freie Universität Berlin
À l’occasion du centenaire de la naissance de Claude Simon, ces journées d’étude destinées aux lecteurs allemands de son œuvre retraceront sa présence en Allemagne dans une double perspective. D’une part, il s’agira de repérer les traces que les séjours volontaires et involontaires de l’auteur en Allemagne (par exemple dans le Stalag de Mühlberg près de Dresde) ont laissées dans ses romans et autres écrits de sa main. D’autre part et surtout, on abordera la réception étonnante de son œuvre littéraire et photographique dans les pays germanophones : les traductions de ses romans à partir du Vent qu’on peut lire maintenant intégralement en allemand (trois même en deux versions différentes) ; leur accueil critique dans les deux Allemagnes des années 60, 70 et 80 ; l’adaptation cinématographique de Triptyque produite par la télévision allemande ; l’Album d’un amateur publié par un éditeur rhénan ; mais aussi les nombreuses références à l’œuvre simonienne dans la littérature allemande contemporaine, par exemple dans les romans de W. G. Sebald ou de Marcel Beyer.
Der Titel soll in einem doppelten Sinn verstanden werden. Colloquium und Ausstellung beschäftigen sich mit den Spuren, die Claude Simons freiwillige und unfreiwillige Aufenthalte in Deutschland in seinem Werk hinterlassen haben, etwa seine Berlinreise von 1937 oder seine Kriegsgefangenschaft im Stalag Mühlberg an der Elbe. Sie befassen sich aber auch mit der Rezeption seines Œuvres im deutschsprachigen Raum (Übersetzungen, Kritiken, Untersuchungen, Romane) sowie mit Werken, die dort entstanden sind, wie sein Film DIE SACKGASSE oder seine Text-Bild-Collage Album d’un amateur.
Les journées d’étude auront lieu à la Bibliotheca Reiner Speck à Cologne, une bibliothèque privée consacrée dans sa plus grande partie à Proust et à ses successeurs modernes. Elle sera accompagnée d’une exposition de cabinet qui rassemblera surtout les éditions originales des traductions, des lettres inédits de Simon à ses traducteurs et critiques allemands et un choix de pages manuscrites (en fac-similé) consacrées à l’Allemagne.
Programme
Samedi 30 Novembre
10.00 : Reiner Speck : Begrüßung
10.15 : Irene Albers/Wolfram Nitsch : Einführung
10.30 : Bernt Hahn : Lesung aus Romanen von Claude Simon
10.45 : Rainer Warning : Claude Simon und Proust
11.30 : Alastair B. Duncan : Claude Simon in der Bibliothèque de la Pléiade
12.15 : Cécile Yapaudjian-Labat : L’Allemagne dans les romans de Claude Simon
13.00 : Mittagspause
15.00 : Wolfram Nitsch : Der Rhapsode und der Ethnograph. Claude Simon in deutscher Sprache
15.45 : Brigitte Burmeister : Claude Simon in der DDR
16.30 : Marcel Beyer : Weitere Auskünfte (Claude Simon in Mühlberg)
17.15 : Bernt Hahn : Lesung aus Romanen von Claude Simon
18.00 : Eröffnung der Ausstellung « Claude Simon in Deutschland »
Dimanche 1er décembre
10.00 : Irene Albers : Album d’un amateur
10.45 : Barbara Basting : « Mais c’est peu … ! » Zur Entstehungsgeschichte des Du-Heftes von und mit Claude Simon
11.30 : Peter Brugger : Triptychon mit Claude Simon
– le programme en pdf :
– un compte-rendu par Jonas Tophoven
Jonas Tophoven est le fils d’Elmar et d’Erika Tophoven, traducteurs, entre autres, de l’œuvre de Samuel Beckett et auteurs des premières traductions en allemand de La route des Flandres/ Die Strasse in Flandern (1961), Le palace / Der Palast (1966) et L’herbe / Das Gras (1970).
Invité par Irene Albers et Wolfram Nitsch, je me suis rendu à Cologne le 30 novembre 2013 pour le colloque et l’inauguration de l’exposition organisés par les deux professeurs à l’occasion du centenaire de la naissance de Claude Simon. Je n’y serais peut-être pas allé si ma mère, co-traductrice de quelques romans de Claude Simon et contributrice de l’exposition, n’avait été souffrante. À sa place, j’avais déjà fait acte de présence au colloque « Traduire Claude Simon » en mai, et en reconnaissance de la façon dont Irene Albers et Wolfram Nitsch ont abordé les traductions de mes parents, j’ai adhéré à l’Association des Lecteurs de Claude Simon. Ce qui m’a valu d’assister à l’inauguration de l’exposition du Centre Pompidou, de m’y interroger sur la part réelle de Réa dans « le cercle de Réa », et maintenant aussi sur la part réelle de ma mère dans l’élaboration des traductions où, à la différence de celles de Samuel Beckett, son prénom ne figure pas. Si mon père est sans doute à l’origine de l’anecdote selon laquelle son épouse l’aurait menacé de divorce au cas où il continuerait de traduire les romans de Claude Simon, c’est bien parce que leur système de travail en équipe a été poussé jusque dans ses derniers retranchements, voire à la rupture. Qu’on imagine mon père lire par exemple à ma mère sa première version du début du roman Histoire, alors que même l’auteur utilisait des codes couleur pour s’y retrouver dans ses longues phrases, codes gommés dans l’édition noir et blanc, non transmis aux traducteurs et occultés par la suite. Les disputes qui en résultaient sans doute entre mes parents me mettaient probablement mal à l’aise mais je n’étais pas en mesure à cette époque d’en attribuer la responsabilité à Claude Simon, d’autant que les traductions en famille de son œuvre ont commencé à peu près à ma naissance, avec La route des Flandres.
Toujours est-il que je n’ai commencé à lire Claude Simon que très tard et à l’instigation de ma professeure de français d’hypokhâgne (mais 25 ans plus tard) qui avait entre temps fait partie des rares enseignants enchantés de voir cet auteur mis au programme de je ne sais plus quel concours, agrégation ou ENS. Elle me conseillait de surmonter mes réticences face aux auteurs traduits par mon père, à une époque où j’essayais d’écrire, après un roman intitulé Le roman de la rentrée, un roman intitulé Nouveau roman, et de commencer plutôt par m’instruire. Je n’ai jamais pu me départir d’une certaine réserve vis-à-vis de l’œuvre de Claude Simon, ce que ma professeure m’a reproché tout de go lorsque je l’ai emmenée à l’inauguration de l’exposition du Centre Pompidou. Je me suis rendu peu après à Berlin où j’ai assisté, avec ma mère, à l’inauguration d’une exposition – en fait de quelques vitrines – consacrées à la réception de l’œuvre de Claude Simon en Allemagne, alimentée en grande partie par les archives de mes parents, composée par des étudiants d’Irene Albers et présentée dans les nouveaux locaux de la bibliothèque de l’Université libre de Berlin. Je gagne ma vie comme journaliste de la presse pro et mes photos ont permis d’illustrer un article sur ce petit événement qui préfigurait celui de Cologne. Les photos prises à Cologne (voir ci-dessous) étaient destinées à ma mère mais comme j’ai été frappé par la haute tenue de ce colloque, j’ai suggéré de contribuer à en garder une trace en France.
Présentant avec humour et dans la langue de Goethe la genèse de la publication des œuvres de Claude Simon dans la Bibliothèque de la Pléiade, Alastair Duncan s’en serait acquitté avec un surcroît d’érudition et une entrée en matière plus directe que celle fournie ici. Quant à Cécile Yapaudjian-Labat, son intervention à Cologne, courageuse, allait droit aux textes et mettait en lumière la faible présence de l’Allemagne dans l’œuvre, en prélude à des contributions allemandes comme celle du réalisateur Peter Brugger, qui rappelèrent à l’esprit, malgré l’abondance des documents exposés, le faible impact de l’œuvre en Allemagne. Et pourtant, quel autre pays que l’Allemagne peut s’enorgueillir d’avoir, par l’intermédiaire d’Irene Albers et Wolfram Nitsch, organisé à l’occasion du centenaire des manifestations de cette qualité et rassemblé dans un volume traduit en français, qui vient de paraître aux Presses Universitaires Septentrion, un ouvrage consacré aux Lectures allemandes de Claude Simon (un titre qui ne doit pas occulter le fait que Claude Simon ne parlait pas allemand, ne lisait pas l’allemand et que les traces de son intérêt pour la littérature allemande restent difficiles à identifier : Rilke avec la mise en exergue du passage des Elégies sur la mise en ordre du monde, Novalis dans le film de Peter Brugger) ? C’est le sixième ouvrage de cette collection consacré à Claude Simon, où l’on trouve également dès 2007 l’étude d’Irene Albers Claude Simon moments photographiques. On y lit des contributions de certains conférenciers du colloque de Cologne (Wolfram Nitsch, Rainer Warning, Marcel Beyer), tandis que Marianne Kesting, qui fut sans doute à l’ouest pour Claude Simon et le nouveau roman ce que Brigitte Burmeister fut à l’est, était présente dans la salle. L’article rédigé par mon père dans un quotidien régional à l’occasion du prix Nobel, traduit dans le livre, figure en vitrine à Cologne. Helmut Scheffel, ami, découvreur et traducteur de Claude Simon, est également très présent dans l’exposition grâce aux archives que sa veuve Gerda Scheffel a mis à disposition.
Pour autant, l’ouvrage, le colloque et l’exposition sont complémentaires. Grand connaisseur de Proust comme le mécène Reiner Speck qui a fourni à l’événement de Cologne un cadre et des conditions admirables, Rainer Warning a publié son étude de La route des Flandres il y a plus de vingt ans. À Cologne, il analyse d’entrée de jeu le lien avec Proust, en plongeant avec délice dans les strates des Géorgiques. À défaut de liens plus tangibles, Rainer Warning interprète les allusions à Virgile dans le texte de Claude Simon, et tente de montrer que l’œuvre de Proust est elle aussi une histoire de l’écriture. Sa conférence est publiée dans un ouvrage consacré à Claude Simon et offert à l’occasion du colloque par la société Marcel Proust de Cologne à ses adhérents : Sur la lecture, XI. Le beau petit livre comprend également, après l’introduction de nos deux professeurs, la traduction de la conférence « Le poisson cathédrale » de Claude Simon, parue en 2012 dans Quatre conférences aux éditions de Minuit ; mais aussi la version allemande de l’excellente bibliographie raisonnée dédiée à la réception de l’œuvre de Claude Simon en Allemagne. On s’y rend compte à quel point, dans le prolongement de ce qui est présenté pendant le colloque et dans l’exposition, le travail de l’auteur prend en Allemagne une orientation multimédiale, par exemple avec les compositions musicales de Walter Feldmann à partir du second chapitre des Géorgiques (1996-2002). Surtout, on y trouve la trace délicate mais continue de la réception de Claude Simon outre-Rhin. Le prélude est constitué par les traductions du Vent par Eva Rechel-Mertens, traductrice de Proust, en 1959, puis de La route des Flandres en 1961 par mon père (l’année où je suis né). En 1963, première intervention de Claude Simon en Allemagne, à l’institut français de Munich, puis à Francfort. À Sarrebruck en 1968, année de création en Allemagne de la pièce radiophonique La séparation. Enfin, Claude Simon a participé à Berlin à un colloque sur les médias, après la réalisation du film Tryptichon par Georg Bense et Peter Brugger. Il en subsiste apparemment le texte d’une contribution qu’il n’a finalement pas présentée. S’ajoutent une traversée de Berlin dès 1937, le séjour de plusieurs mois à Mühlberg comme prisonnier de guerre en 1940. Sans compter éventuellement d’autres voyages à caractère privé. On ne peut donc pas dire que l’homme Claude Simon ignorait l’Allemagne contemporaine. Toutefois, si Cécile Yapaudjian-Labat relève dans l’œuvre une évolution peu à peu moins germanophobe dans les prises de position de personnages, elle se doit de constater que l’Allemagne fédérale laisse dans les romans une trace à peine perceptible, au contraire de l’Allemagne de 1940.
Le colloque « Traduire Claude Simon », en mai à l’université Paris VIII, avait mis en évidence la place particulière qu’occupe l’Allemagne dans la réception extra-francophone de l’œuvre de l’auteur, dans la mesure où le public y dispose – en principe – de deux traductions successives exemplaires et complémentaires d’un certain nombre de romans et fragments, dont celle de mon père ou de mes parents. Wolfram Nitsch est revenu sur sa démarche inédite de comparaison de traductions, sur la base d’une analyse d’un passage de La route des Flandres. Les deux traductions successives optent pour des stratégies complémentaires et, selon le professeur de l’université de Cologne, leur analyse éclaire l’original. Autre éclairage saisissant, la lecture par Bernt Hahn du début de La route des Flandres dans la traduction de mon père. Dans la matinée, il avait déjà donné un passage de L’acacia dans la traduction d’Eva Moldenhauer. On s’aperçoit que l’œuvre de l’écrivain français fournit au répertoire allemand de vrais morceaux de bravoure. La scène du passage d’un train militaire dans une gare, dans L’acacia, se déploie comme un tableau animé. Dans la bouche de Bernt Hahn, le début de La route des Flandres passe comme un grand film de guerre, même si les imbrications posent le problème de la coupure. À quand des lectures françaises de Claude Simon ?
Brigitte Burmeister ne s’est pas contentée de lutter contre la mise au ban du Nouveau roman et de ses auteurs en RDA. Elle figure aussi parmi les auteurs qui se sont sciemment inspirés de cette école pour produire en allemand une œuvre littéraire qui n’est pas pour autant épigonale. Paradoxalement, la RDA génère peut-être avec le roman de Burmeister Anders oder vom Aufenthalt in der Fremde une réception qui aboutit à la création, tandis que la réception de l’œuvre de Claude Simon n’y a pour ainsi dire pas laissé d’autres traces. Cette influence s’exerce aussi une génération plus tard, après la chute du mur, notamment chez Marcel Beyer qui revient sur le séjour de Claude Simon comme prisonnier à Mühlberg sur Elbe.
Les trois conférences du lendemain, 1er décembre, n’étaient pas un appendice. On y trouve un auteur de romans s’exprimant au travers de médias visuels : l’Album d’un amateur de 1988, l’édition dédiée de DU dix ans plus tard témoignent de l’intérêt de Claude Simon pour l’agencement du texte et des images. Réalisé en 1975, le documentaire Tryptichon comprend en partie centrale un film de 12 minutes composé par l’auteur, L’impasse. Une impasse ? Peut-être plutôt une piste abandonnée, d’autant que vers le milieu des années soixante-dix, le monde des lettres entame en Allemagne un retour vers le livre qui aujourd’hui s’avère fatal. Que l’on songe seulement aux possibilités qu’expérimente Ivo Wessel grâce au mécénat de Reiner Speck et au matériel d’archives rassemblé par Irene Albers. Des tablettes sont mises à la disposition des visiteurs de l’exposition qui se prolongera jusqu’au mois de février. Elles servent à la fois de guide pour expliquer les objets exposés, et pour établir des passerelles sémantiques ou médiatiques, du texte à la critique, au matériel de sa genèse, à l’image, au son. En la matière, Ivo Wessel a déjà à son actif la mise en App de Joyce, Kraus, Pérec, Proust et Wilde. Reste à déterminer si cette approche ouvrira de nouvelles pistes dans le domaine de la recherche et de l’enseignement, ou génèrera carrément, à terme, une nouvelle manière de lire les classiques.
Dans ce bâtiment lumineux et totalement modulaire qui couronne l’œuvre de l’architecte allemand Ungers, il s’est passé quelque chose le 30 novembre et le 1er décembre. Et même si Rainer Warning ne voulait pas préjuger de l’avenir de Claude Simon dans la vie culturelle de l’Europe du 21e siècle, le travail accompli par les lecteurs allemands de Claude Simon est allé bien au-delà de la commémoration.
– toutes les photos de l’événement par Jonas Tophoven (cliquer sur les photos pour les agrandir) :